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l’évêque répondait qu’aucune disposition légale n’ayant exclu cette nature de crime, la présence des réfugiés dans le sanctuaire les rendait inviolables. Le peuple de Constantinople appuyait sans doute les réclamations du clergé, et Eutrope jugea prudent de céder ; toutefois il résolut de faire interpréter par une loi le droit d’asile ecclésiastique, de manière à ce qu’il ne fût plus une sauvegarde pour ses ennemis. La loi parut l’année suivante, 397, et causa une vive émotion dans le clergé catholique. Quant à Pentadia, privée de son mari et de son fils, et tombée du faîte des honneurs dans le veuvage et la pauvreté, elle se consacra au Dieu qui avait protégé ses jours, et devint diaconesse de l’église métropolitaine de Constantinople.

L’importance historique de cette loi exige que nous en parlions avec quelque détail, et d’abord nous exposerons ce qu’était la législation des asiles dans les temps païens. Nous dirons ce qu’elle devint après l’introduction du christianisme. Nous exposerons alors en quoi consistèrent les innovations introduites par Eutrope et qui soulevèrent de si violens débats.

À la naissance des sociétés romaine et grecque, le droit de refuge attaché aux temples avait été inviolable et sacré. À défaut des lois humaines, nulles ou impuissantes contre la force, on avait fait appel aux dieux, pour mettre sous leur protection la vie du faible, de l’innocent et même du criminel, jusqu’à ce que, les emportemens de la passion s’étant calmés, la voix de la conscience pût se faire entendre ; mais à cette époque même on trouva moyen d’éluder le privilège du sanctuaire, qu’on prétendait respecter, pourvu qu’on ne le violât pas directement. La passion alors recourait à des violations indirectes : tantôt on mettait le feu au temple pour forcer le réfugié d’en sortir, tantôt on en murait la porte pour l’y faire mourir de faim, ou bien on en découvrait le toit pour l’y percer de flèches du haut des murs. Quelquefois on rendait impossible l’accès des asiles : celui de Romulus, à Rome, le plus sacré de tous, avait été à dessein tellement obstrué qu’on n’y pénétrait qu’à grand’peine. À mesure que la société s’adoucit, le droit d’asile dans les temples, réglementé par les lois humaines, devint un droit de convention qu’on étendit, diminua, supprima, suivant les conseils de la raison ou le besoin des. circonstances. Appliqué à certaines catégories de crimes et de délits, il fut interdit pour les autres ; la loi détermina le droit des dieux à la sauvegarde des coupables.

Aux dernières époques de la république romaine, dans ce temps d’incrédulité générale où l’existence des dieux était mise en question, l’immunité de leurs temples ne couvrit plus personne, et devint même, dans la main des partis, un instrument d’oppression.