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d’une conversation amicale ou qu’il adresse aux foules rassemblées un discours solennel, il sait émouvoir, entraîner, convaincre. En outre il a ce don précieux de dire précisément ce qu’il faut dire. Je rapporterai à ce propos un exemple qui m’a beaucoup frappé. Le peuple de Naples, ce mime incomparable, imagina, aussitôt après l’entrée de Garibaldi, de ne plus s’aborder qu’en levant l’index de la main droite, ce qui signifie un, sorte d’anagramme mimé de la phrase consacrée : vive l’Italie une ! Un dimanche que Garibaldi, venu à Naples pour visiter les blessés, était allé dîner sur la Chiaja, à l’hôtel de la Grande-Bretagne, toute la population napolitaine, musique et drapeaux en tête, se massa devant l’auberge et cria tant et si fort que Garibaldi fut obligé de paraître au balcon. Il salua la foule, qui lui demanda un discours. Il se recueillit pendant quelques secondes, et voici textuellement ce qu’il répondit : « Que puis-je te dire, ô mon cher peuple de Naples, à toi qui par un seul geste apprends à l’Italie quels sont ses droits et ses devoirs ! » Puis, levant l’index, il cria : Una !… — On peut se figurer les acclamations qui applaudirent ces paroles. Le mot propre, le terme spécial ne lui font jamais défaut, et les ordres qu’il donne sont d’une telle lucidité qu’il est impossible de ne pas les comprendre. Or je crois qu’à la guerre un ordre bien compris est à moitié exécuté.

J’ai eu plus d’une occasion, dans ma vie, d’approcher ces êtres enviés et trop souvent médiocres qu’on appelle des hommes célèbres ; j’ai toujours été surpris du peu d’admiration qu’il convient d’avoir pour eux. Seul peut-être parmi tous ceux que j’ai rencontrés, Garibaldi ne m’a fait éprouver aucune déception. Il est né grand, oserai-je dire, comme il est né blond. C’est un produit de la nature qui ne s’est point modifié. Un mot très vrai a été dit sur lui dans le parlement de Turin par le député Scialoja, si ma mémoire n’est pas infidèle : « Il ne faut pas croire que Garibaldi soit un homme de génie, ni même un homme d’une grande intelligence ; c’est mieux que cela, c’est un homme de grands instincts. » Depuis mon retour en France, bien des personnes m’ont demandé : Qu’est-ce que Garibaldi ? À toutes, j’ai invariablement fait la même réponse : C’est Jeanne d’Arc ! En effet, Garibaldi est un simple, au beau sens de ce mot. Porté par un amour immense de sa patrie, il a accompli naïvement des œuvres énormes, ne tenant jamais compte des obstacles, ne voyant que le but auquel il marche droit, sans que la possibilité de fléchir lui soit même venue à l’esprit. Son instruction paraît médiocre, son intelligence est ordinaire, son esprit assez crédule ; mais il a un grand cœur. Il a la foi ; il croit à l’Italie, il croit à sa propre mission. L’illuminisme l’a-t-il parfois touché de ses ailes rêveuses ? Je le croirais ;