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abandonné, renvoyé et condamné par lui à l’exil et à la misère. Au jour du grand appel, les prêtres siciliens sont restés neutres ou hostiles : c’était justice. Fût-on pape, on ne recueille jamais que ce qu’on a semé. J’ignore ce qu’est devenu le bataillon ecclésiastique qui devait marcher la croix sur la poitrine et le sabre au côté, j’ignore même si ce projet a reçu toute son exécution. Plus tard, dans les Calabres et à Naples, j’ai vu des prêtres, — prêtres ou moines, je ne sais, — barbus et chevelus, chevaucher avec nos troupes, le crucifix et le pistolet à la ceinture, montrant la chemise rouge sous la robe de bure, prêchant en langage de caserne et donnant à rire plus souvent qu’à penser. Ceux-là étaient des volontaires libres qui n’appartenaient à aucun corps régulier et qui n’avaient rien de commun avec les secourables aumôniers qui marchaient avec chacune de nos brigades, partageant les fatigues du soldat, couchant comme lui à la belle étoile, mangeant le pain trempé dans l’eau vaseuse des rivières et murmurant à l’oreille des blessés les paroles de consolation qui ouvrent à l’âme anxieuse un chemin vers l’espérance. Ceux-là, on les aimait et on les respectait ; quant aux autres, qu’en dirai-je ? sinon que je n’ai qu’un goût fort modéré pour les mascarades, et qu’un prêtre faisant le soldat me semble aussi intéressant qu’un tambour-major qui dirait la messe.

Les preuves de la terreur qu’avaient inspirée le bombardement et le combat du mois de juin 1860 se voyaient encore au front des maisons de Palerme. Toutes semblaient avoir réclamé une nationalité étrangère pour se mettre à l’abri des troupes de François II. Au-dessus de chaque porte, en caractères tracés hâtivement à la main, on lisait : propriété anglaise, — propriété française, — propriété belge, — propriété danoise. — L’expérience de ce qui s’était passé à Naples le 15 mai 1848 aurait dû cependant apprendre aux Palermitains que de pareilles inscriptions n’arrêteront jamais des soldats qui ne savent pas lire, et ils ont pu se convaincre tout récemment, pendant la bataille livrée aux troupes de Garibaldi, que les Napolitains pillaient indistinctement les maisons italiennes, suisses et françaises.

À la nuit venue, une vie étrange sembla agiter la ville, qui s’alluma tout entière : profusion de lumières, lampes, lampions, lanternes, chandelles et bougies. Les rues, sillonnées de voitures, fourmillaient de piétons ; les marchands criaient de l’eau, des sorbets, des oranges, des pastèques, des figues de barbarie ; les cafés pleins chantaient à tue-tête, des enfans tiraient des pétards pour l’unique plaisir de mêler un fracas nouveau à la rumeur générale : c’était un brouhaha à ne point s’entendre. « C’est donc fête aujourd’hui ? demandai-je. — Non, monsieur, me répondit-on, c’est comme cela