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de fermer les yeux et d’exprimer dans des notes diplomatiques des regrets que peut-être l’on n’éprouvait guère. C’est ce que l’on fit, et l’événement a démontré, au-delà des probabilités, que l’union et la libération italiennes, si souvent cherchées en vain, étaient cette fois près de s’accomplir, et que c’eût été folie que de prétendre y mettre obstacle.

Les volontaires, reconnaissables à leur chemise rouge, marchaient bruyamment dans les étroites rues de Gênes au roulement des tambours. Les officiers dînaient en groupe au café de la Concordia ; les soldats, si jeunes pour la plupart qu’on les eût pris pour des enfans, jouaient sur la promenade de l’Acqua-Sola ; la maison du docteur Bertani, âme vivante de ce mouvement, ne désemplissait pas ; dans le port, des bateaux à vapeur chauffaient, qu’on chargeait de troupes, et qui partaient pour leur destination pendant que les volontaires poussaient ce cri de ralliement qui devait conquérir un royaume : Vive l’Italie, toute et une !

Ce mouvement, cette agitation, ces marches militaires, ces chants patriotiques qui se mêlaient à chaque heure au tumulte du jour et au silence de la nuit donnaient à la ville un aspect étrange ; elle semblait avoir la fièvre, la fièvre rouge) ainsi que le disait spirituellement un ministre du roi Victor-Emmanuel, le même qui avait déjà dit : « L’Italie est attaquée d’une maladie aiguë, ignorée jusqu’à présent, et que les médecins appellent la garibaldite. » Maladie ou non, ce mouvement n’en était pas moins très imposant par son unanimité : chaque province tenait à honneur d’envoyer des soldats rejoindre l’expédition libératrice ; les vieilles haines provinciales, les amours-propres municipaux, qui jadis avaient fait tant de mal à la nation italienne, s’oubliaient dans une seule pensée ; ces anciens petits états, qui s’étaient épuisés autrefois à guerroyer les uns contre les autres, réunissaient aujourd’hui leurs efforts pour arriver quand même à la formation de la patrie commune. Ces efforts n’auront pas été vains : tout verbe devient chair, et l’Italie sera, parce qu’elle a voulu être.

À cette époque, l’armée rassemblée en Sicile sous les ordres directs du général Garibaldi étant jugée suffisante pour envahir le royaume de Naples et triompher du gouvernement de François II, on avait réuni un corps de six mille hommes qui, sous les ordres du colonel Piangiani, devait se masser successivement dans l’île de Sardaigne, pour de là se jeter, au moment opportun, dans les états pontificaux et attaquer les troupes chargées de les défendre. Ce projet, secrètement mûri par les hommes du parti extrême, n’avait été, d’après ce que j’ai lieu de croire, communiqué à Garibaldi qu’au dernier moment. Garibaldi, avec ce rare bon sens pratique qui le distingue, s’y opposa ; il se rendit de sa personne en Sardaigne,