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l’avenir vous appartient. Ictinus, tu peux achever le Parthénon, et montrer aux Doriens qu’il est des beautés supérieures à celles qu’ils nous ont enseignées. Mnésiclès, tu nous donneras des propylées qui feront oublier ceux de l’antique Égypte. Corœbus, Eleusis attend de toi un sanctuaire digne des mystères qu’elle célèbre. Qui veut rebâtir le temple de Sunium ? Qui reconstruira celui de Rhamnonte ? Tous les édifices que Xerxès a brûlés, nos pères en respectaient les ruines, pour entretenir leur haine contre les barbares. Nous nous vengerons plus noblement en les remplaçant par des chefs-d’œuvre. Athènes n’aura été rasée par les Mèdes que pour se relever par nos mains, rajeunie, éclatante, la plus belle parmi les villes grecques. Nous ne négligerons pas pour cela le souvenir de nos victoires. Tu sais, Métagène, que les mâts conquis à Salamine formeront la toiture du théâtre que tu prépares.

ALCAMÈNE.

Heureux les architectes qui suffiront à peine à tant d’entreprises !

PHIDIAS.

Non moins heureux les statuaires et les peintres, car c’est pour eux que les architectes travaillent ! A mesure que les monumens s’achèveront, vous les couvrirez de sculptures et de couleurs brillantes ; vous y tracerez l’histoire des hommes et celle des dieux. Plus puissans que les poètes, vous donnerez la vie à tout ce qu’Athènes chérit ou vénère. Sur la frise du Parthénon, vous représenterez la ville de Minerve célébrant les panathénées. Tandis que les autres pays consacrent l’image de leurs rois, c’est l’image d’un peuple entier que vous transmettrez à la postérité. Combien est douce la tâche qui vous est tracée ! Libres au milieu d’un peuple libre, nous n’avons qu’à produire sans contrainte les œuvres les plus propres à honorer notre patrie. Il n’y a plus devant nous d’obstacles : aucun tyran ne nous impose ses caprices ; Périclès nous invite à nous diriger nous-mêmes ; le trésor de la république nous est ouvert ; le temps, qui est la condition des grandes choses, ne nous est pas mesuré plus que l’argent. Jamais une occasion aussi favorable ne s’est présentée aux artistes, jamais artistes n’ont été mieux préparés à profiter d’une telle fortune. Que chacun oublie donc son intérêt pour tourner toutes ses pensées vers la gloire commune, car c’est sa gloire qu’Athènes nous confie. Illustre par ses guerriers, illustre par ses poètes et ses orateurs, elle nous demande une couronne nouvelle : nos œuvres feront son ornement le plus durable et l’admiration de l’univers. Les manuscrits sont dévorés par les flammes, les langues se corrompent, les victoires sont effacées par des défaites, les peuples sont mortels aussi bien que les hommes qui les composent. Si Athènes doit succomber un jour, le Parthénon restera pour attester à des peuples nouveaux que la puissance d’Athènes n’était point une fable, et que son génie n’est point un mensonge. La science perverse des âges inventera peut-être des moyens capables de renverser ce que nous croyons élever pour l’éternité ; mais les ruines mêmes seront encore un défi qui fera pâlir nos rivaux, et des modèles qu’ils n’égaleront jamais. Les barbares apprendront qu’il est des beautés immortelles que l’on peut mutiler, mais qui ne savent point vieillir. — Et maintenant, mes amis, montons à l’Acropole !


BEULE.