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PRAXIAS.

J’ai même aplati ce bras qui tient le bouclier et creusé le bouclier dans l’épaisseur du corps.

PHIDIAS.

Tu as bien fait. Un bas-relief doit rester plat, pour que toutes ses surfaces soient apparentes et gardent une juste valeur. Certes il faut consulter les lois de la perspective, mais il faut te fier aussi à ton sentiment et à la hardiesse de ton ciseau. Sois surtout sobre de détails. Attache-toi aux grandes divisions, comme je le recommandais tout à l’heure à Pæonios. Cette rotule n’est pas assez dégagée, cette tête de cheval n’est pas assez sèche. Tes groupes ont un aspect satisfaisant ; mais soigne tes contours, qui doivent être la beauté principale du bas-relief, puisqu’il sera vu à distance.

PRAXIAS.

Tes paroles sont claires, Phidias ; mais elles paraîtraient trop simples aux sophistes qui nous visitent quelquefois et qui nous pressent de questions sur notre art.

PHIDIAS.

N’écoute pas les sophistes ; ceux qui contemplent tes œuvres uniquement pour en tirer de vaines paroles finiraient par te communiquer la défiance et la lassitude. Ils te rendraient stérile comme ils le sont eux-mêmes, car les fruits ne mûrissent pas sur l’arbre agité par le vent, ils tombent.

AGORACRITE.

Ils nous reprochent, tandis que les sages consacrent leur vie à l’étude de ce qui est bien, de ne pas nous efforcer d’obtenir la connaissance précise de ce qui est beau.

PHIDIAS.

O mes amis, ni les raisonnemens, ni les pensées fines, ni les questions légères comme la fumée, ni les mots à double sens ne doivent avoir cours chez vous. Si vous me perdez, telle est ma recommandation suprême. La nourriture du véritable artiste, c’est le sentiment du beau, le respect des maîtres, le travail et le silence. La beauté ne se discute pas, elle se sent. Avez-vous besoin, pour respirer, d’étudier l’air qui remplit vos poitrines ? Attendez-vous, pour jouir de la clarté du soleil, que vous sachiez comment sont composés ses rayons ? La foule des mortels, plongée dans ce tombeau qu’on appelle le corps, ne peut s’élever jusqu’au spectacle de la beauté éternelle ; mais ceux que Dieu a créés pour être des artistes, c’est-à-dire les interprètes du beau, doivent trouver le beau sans effort. Leur âme aura toujours des ailes pour l’atteindre, si elle reste simple et ne se laisse point égarer par de vaines subtilités. Mais qu’as-tu, mon cher Praxias ? Tu parais troublé ?

PRAXIAS.

Hélas ! maître, comment pourrais-je retenir mes larmes, quand je pense que c’est pour la dernière fois peut-être que nous entendons tes leçons ?