Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 32.djvu/329

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

plus beau ou plus durable, j’estime qu’un peuple, et surtout le peuple athénien, ne doit rien épargner. En effet, notre parcimonie lui causerait le plus grand de tous les dommages en nuisant à sa gloire. Comme les monumens sont la parure d’une ville aux yeux des étrangers, il convient qu’Athènes ne se pare que de monumens irréprochables.

ICTINUS.

Les défauts du marbre sont légers : ils auraient disparu sous l’enduit coloré.

PHIDIAS.

Ne suffit-il pas que tu les connaisses ? L’artiste qui sait où son œuvre pèche a moins de fierté et perd de son ardeur. De la perfection de chaque détail dépend la beauté de l’ensemble. Le divin architecte qui a construit le monde nous l’apprend, car ce n’est pas dans les parties cachées qu’il déploie le moins d’art.

ICTINUS.

Je te rends grâces, Phidias. Avec ton aide, j’achèverai heureusement mon entreprise ; mais il est un autre point sur lequel je veux te consulter de nouveau.

PHIDIAS.

Quelle difficulté pourrait arrêter un homme tel que toi ?

ICTINUS.

Persistons-nous à faire courbes toutes les lignes du Parthénon ?

PHIDIAS.

Assurément.

ICTINUS.

Déjà le soubassement et le dallage sont posés, ils offrent une surface convexe. Les architraves, les frises, les frontons seront-ils courbes à leur tour ?

PHIDIAS.

Cela me paraît tout à fait nécessaire. N’es-tu plus de cet avis ?

ICTINUS.

Je pense toujours de même et je me propose d’écrire un traité sur cette matière.

PHIDIAS.

Je me réjouis de ce que tu m’annonces. La science est une richesse facile à dissiper, qu’il faut transmettre à nos descendans.

ICTINUS.

Mais comme tous ceux qui essaient une chose nouvelle, je crains l’effet qu’elle produira. Les courbes du Parthénon exciteront les critiques de mes rivaux, peut-être les railleries des Athéniens.

PHIDIAS.

Elles n’exciteront que leur admiration, car tu leur enseigneras un genre de beauté qu’ils ignoraient. J’aime notre architecture, qui surpasse celle des autres peuples, autant que les lois de la raison surpassent l’imagination sans règles, j’aime un art qui seul repose sur l’harmonie des proportions, j’aime nos temples assis au sommet des acropoles, des collines verdoyantes ou des promontoires baignés par la mer ; mais j’avoue que les