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ASPASIE.

Mais c’est sa cause que tu défends !

PÉRICLÈS.

Il sacrifie ses intérêts à ses caprices.

ASPASIE.

Il t’obéit et t’admire !

PÉRICLÈS.

Il se lasse aussi vite de son admiration que de son obéissance.

ASPASIE.

J’avais donc raison de m’effrayer quand tu te livrais à sa merci ! Thargélia, mon ancienne maîtresse, qui est aujourd’hui l’épouse d’un roi, m’avait élevée dans le mépris de la multitude. C’est toi, fils de Xanthippe, qui as fait pénétrer dans mon esprit l’opinion contraire.

PHIDIAS.

Je ne vois pas clairement ce que tu appelles multitude, ma chère Aspasie.

ASPASIE.

J’appelle ainsi cette foule grossière à laquelle Périclès a donné un pouvoir sans limites.

PÉRICLÈS.

Son pouvoir a pour limites les lois et la persuasion ; tu es injuste en accusant de grossièreté le peuple le plus éclairé du monde.

PHIDIAS.

Toi-même, Aspasie, tu nous as dit que si tu prenais au hasard dans cette foule un homme, fût-il corroyeur ou marchand de bœufs, en quelques mois tu en ferais un orateur propre à diriger les affaires publiques.

ASPASIE.

J’en conviens. Chaque Athénien en particulier est doué d’une intelligence rare et d’une éloquence naturelle. Réunis, ils deviennent aveugles, ingrats, faciles à tromper. Une fois assis sur les bancs de pierre du Pnyx, ils sont aussi sots que celui qui suspend des figues pour qu’elles sèchent au soleil, lorsque la queue lui reste dans la main. Le parti aristocratique est plus sûr ; il se serre autour de ses chefs et ne les trahit jamais.

PÉRICLÈS.

Il ne les trahit pas, mais il les laisse périr. A-t-il sauvé Miltiade de la prison, Cimon de l’exil ? Il ne sauvera pas Thucydide de l’ostracisme, si Minerve, qui tient l’urne aux suffrages, protège encore sa ville. Phidias te sera témoin que moi aussi j’avais le goût du luxe, des plaisirs, de l’oisiveté, du commandement, de tous les privilèges qui appartiennent à l’aristocratie. Je descendais, par ma mère, de Clisthènes, tyran de Sicyone, et dans ma jeunesse les vieillards qui avaient connu Pisistrate étaient frappés de ma ressemblance avec lui. Par amour de la justice autant que par ambition, je me suis dévoué au parti populaire, non pour flatter ce qu’il a de bas, ni pour servir ce qu’il a de violent. Cette populace sans nom, qui se glisse dans la ville pour y cacher ses crimes, ennemie des gens de bien, amie des troubles, armée toujours prête que les usurpateurs soudoient, un décret de l’assemblée l’a chassée : rançon cruelle, mais nécessaire, de notre liberté. Les citoyens indigens restaient en grand nombre, honnêtes, mais dangereux, parce