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Aidé de ton frère Panaenos, tu donnais aux peintres les mêmes conseils, et leur transmettais les secrets du grand Polygnote. Enfin tu étudiais l’architecture, la géométrie, la perspective, afin de diriger un jour des architectes tels qu’Ictinus, Callicrate, Corœbus, Métagène. Sans cette armée d’artistes que tu recrutais pour moi, nous ne pouvions rien entreprendre.

PHIDIAS.

Tu parles sagement, car ni la volonté du chef d’un état ni ses trésors ne suffisent pour créer les belles choses : il faut des hommes. On m’a raconté que chez les barbares de l’Asie, afin de satisfaire le caprice d’un despote, de vastes palais s’élevaient en quelques mois, objets d’étonnement, mais non d’admiration. De tels prodiges ne demandent que des fouets et des troupeaux d’esclaves ; mais chez nous autres Grecs, les chefs-d’œuvre sont fils de la patience, et le génie ne se développe que s’il est libre et respecté.

PÉRICLÈS.

Tout se rencontre précisément pour former un grand siècle, et l’occasion tant désirée se présente. Les Grecs désarmés ont juré la paix ; raille cités tributaires nous envoient chaque année d’inépuisables richesses ; le trésor de Délos est à nous ; le peuple a sanctionné nos plans ; le sang des victimes a scellé la première pierre du Parthénon. Dès ce jour, nos adversaires n’ont plus gardé de mesure ; ils ont multiplié les calomnies et les accusations, les suspensions de travaux et les enquêtes, pour nous empêcher d’achever une entreprise qui fera passer notre nom à la postérité plus sûrement que vingt victoires ensanglantées ; mais cette lutte funeste au bien public touche à son terme. Les dés sont jetés ; entre moi et Thucydide, l’ostracisme prononcera. Laissons donc un sujet qui m’enflamme plus qu’il ne convient. Je suis un très mauvais modèle, n’est-il pas vrai ?

PHIDIAS.

Tout au contraire. Je ne te cache pas que c’est uniquement pour t’enflammer que j’ai touché ce sujet.

PÉRICLÈS.

Que veux-tu dire ?

PHIDIAS.

Je désirais te voir tel que tu es à la tribune, quand ton éloquence frappe comme la foudre ou coule avec la majesté d’un fleuve. Le peuple te compare à Jupiter assemblant les nuages et te surnomme l’Olympien. C’est Périclès l’Olympien que j’ai peint. Tu peux te reposer, ton portrait est fini. Mais que le scrutin de demain ne t’inspire aucune alarme ! Tu es trop nécessaire à tes concitoyens pour que déjà ils consentent à être ingrats.

PÉRICLÈS.

Ne plaisante pas, Phidias, car je puis succomber.

PHIDIAS.

C’est impossible.

PÉRICLÈS.

Je puis succomber, l’exemple d’Aristide m’en avertit.

PHIDIAS.

Eh bien ! si tu succombes, nous consacrerons ce portrait dans le temple de Minerve Poliade, afin que les Athéniens ne puissent échapper à ton souvenir vengeur, et je te suivrai dans l’exil. J’emmènerai mes élèves ; la ville