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libres. Ni le trône d’Ecbatane, ni la vigne d’or qui l’ombrage, ne valent la confiance tous les jours conquise des Athéniens.

PHIDIAS.

À la bonne heure ! Nous nous laisserons persuader par un ambitieux aussi rare. Heureux les états qui n’en produisent point d’autres !

PÉRICLÈS.

En attendant, tu vois à quelle extrémité je suis poussé.

PHIDIAS.

Accuse le parti aristocratique, Thucydide, Callias, le prêtre de Bacchus, le grand-prêtre de Neptune, tous leurs amis ; mais n’accuse pas le peuple.

PÉRICLÈS.

C’est parce que le peuple l’écoute avec complaisance qu’un parti devient redoutable. Que de mal ils feraient, s’ils étaient à la tête des affaires. Que de bien ils empêchent, parce que j’y suis !

PHIDIAS.

Ils ont arrêté nos travaux et réduisent nos artistes au désespoir.

PÉRICLÈS.

Tu indiques la source de mes plus amers regrets. Tant de chefs-d’œuvre qu’on nous défend de continuer ! Certes on doit succomber plutôt que de renoncer à une telle entreprise ! Te souviens-tu, Phidias, des projets que nous formions pendant les seize années qui viennent de s’écouler ?

PHIDIAS.

Comment ne m’en souviendrais-je pas, mon cher Périclès ?

PÉRICLÈS.

En effet, c’était toi qui me les inspirais et qui nourrissais dans mon âme l’amour du beau. Pour moi, tant que je vivrai, je n’oublierai point nos longues conversations, le soir, lorsqu’au retour d’une expédition sur le continent, d’une navigation périlleuse, ou bien après les séances non moins orageuses du Pnyx, je venais m’asseoir à ton foyer ou t’inviter au mien. Les temps étaient difficiles, les guerres fréquentes, les partis acharnés, mon influence mal établie, le trésor épuisé. Il fallait différer, puis différer encore, mais nous disposions de l’avenir avec l’ardeur de la jeunesse : nous imitions les laboureurs qui charment les veillées d’hiver en s’entretenant des semailles du printemps et en calculant sur leurs doigts les moissons de l’été qui va suivre.

PHIDIAS.

Ce que tu rêvais, Périples, moi, je le préparais.

PÉRICLÈS.

Oui, certes, et je ne sais si les Athéniens pourront jamais reconnaître ton dévouement. Depuis seize ans, tu cherches dans le silence de l’atelier les principes les plus sublimes de ton art et les formes les plus accomplies pour les enseigner ensuite à nos sculpteurs. Alcamène, Agoracrite de Paros, Pæonios le Thrace, tant d’autres qui avaient atteint l’âge d’homme, tu les as retenus auprès de toi par ton autorité et par tes promesses. Assez habiles pour devenir des maîtres, ils sont restés tes élèves. Les villes du Péloponèse et de l’Ionie leur offraient des avantages insignes, ils ont préféré attendre ici, au sein de la pauvreté, des travaux qui leur assureraient une gloire éternelle.