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chez moi. L’Aurore l’a touché d’abord de ses doigts de rose, puis la neige a resplendi sur le ciel, qui paraissait plus pur et plus bleu qu’à l’ordinaire. Mon cher Phidias, ni l’ivoire que tu sais amollir ni le marbre que tu tailles n’ont jamais eu autant d’éclat !

PHIDIAS.

Épargne-moi, Périclès, car je te répondrai comme Philoctète : « Ta couche une plaie toujours ouverte. » Il est certain que plus j’avance en âge, plus je reconnais que l’art est peu de chose en face de la nature et des œuvres du Créateur.

PÉRICLÈS.

Anaxagore se réjouirait, s’il t’entendait proclamer son dieu unique, l’intelligence qui a créé l’univers ; mais n’oublie pas que tu vis à Athènes, dans la ville qui compte le plus de prêtres et de prêtresses, chez un peuple épris de ses idoles et prompt à punir ceux qu’il soupçonne de ne point y croire.

PHIDIAS.

Pourquoi me soupçonnerait-il ? Ces idoles, c’est moi qui les façonne.

PÉRICLÈS.

Cela ne suffit pas. Si tu es prudent, tu veilleras sur tes paroles quand d’autres que moi t’écouteront. Tu as des ennemis.

PHIDIAS.

Je ne me connais que les tiens.

PÉRICLÈS.

On te porte envie.

PHIDIAS.

À cause de l’amitié que tu me témoignes.

PÉRICLÈS.

Les prêtres murmurent.

PHIDIAS.

Ceux qui n’attendent rien de moi. Dès qu’ils auront besoin d’une statue neuve pour attirer la foule, ils me couronneront de roses.

PÉRICLÈS, souriant.

J’admire ton orgueil.

PHIDIAS.

Dis ma sérénité.

PÉRICLÈS.

Suis donc ta destinée. Aussi bien les mortels ne peuvent rien changer à ce qui est réglé là-haut. (Un moment de silence.)

PHIDIAS.

Tu te penches trop à gauche.

PÉRICLÈS.

Me voici redressé.

PHIDIAS.

Très bien ! Reste immobile, car je vais peindre tes yeux.

PÉRICLÈS.

Je veux ressembler aux statues de ton atelier.

PHIDIAS, après une nouvelle pause.

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Se peut-il que tu t’inquiètes pour moi, Périclès, quand, seul, tu causes nos alarmes ? Tu t’étonnes de ma tranquillité : la tienne m’étonne bien plus. N’est-ce pas demain le jour de la nouvelle lune ?