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rent. Voyons, qu’est-ce qu’il a de différent et qu’est-ce qu’il a de beau selon vous ? Je ne demande qu’à admirer, moi ; je n’ai été élevé ni en poète, ni en artiste, mais j’aime le beau, et j’ai des yeux comme un autre.

Il y avait tant de naïveté dans le babil de ce Moserwald que, tout en fumant dehors avec lui, je me laissai aller à la sotte vanité de lui expliquer la beauté du Mont-Rose. Il m’écouta avec son bel œil juif, clair et avide, fixé sur moi. Il eut l’air de comprendre et de goûter mon enthousiasme, après quoi il reprit tout à coup son air de bonhomie railleuse et me dit : — Mon cher monsieur, vous aurez beau faire, vous ne réussirez pas à me prouver qu’il y ait le moindre plaisir à regarder cette grosse masse blanche. Il n’y a rien de bête comme le blanc, et c’est presque aussi triste que le noir. On dit que le soleil sème des diamans sur ces glaces : pour moi, je vous confesse que je n’en vois pas un seul, et je suis sûr d’en avoir plus à mon petit doigt que ce gros bloc de vingt-cinq ou trente lieues carrées n’en montre sur toute sa surface ; mais je suis content de m’en être assuré : vous m’avez prouvé une fois de plus que l’imagination des gens cultivés peut faire des miracles, car vous avez dit les plus jolies choses du monde sur cette chose qui n’est pas jolie du tout. Je voudrais pouvoir en retenir quelque bribe pour la réciter dans l’occasion ; mais je suis trop stupide, trop lourd, trop positif, et je ne trouverai jamais un mot qui ne fasse rire de moi. Voilà pourquoi je me garde de l’enthousiasme ; c’est un joyau qu’il faut savoir porter, et qui sied mal aux gens de mon espèce. Moi, j’aime le réel, c’est ma fonction ; j’aime les diamans fins et ne puis souffrir les imitations, par conséquent les métaphores.

— C’est-à-dire que je ne suis qu’un chercheur de clinquant, et que vous,… vous êtes bijoutier, ne le niez pas ! Toutes vos paroles vous y ramènent.

— Je ne suis pas un bijoutier ; je n’ai ni l’adresse, ni la patience, ni la pauvreté nécessaires.

— Mais autrefois, avant la richesse ?

— Autrefois jamais je n’ai eu d’état manuel. Non, c’est trop bête ; je n’ai pas eu d’autre outil que mon raisonnement pour me tirer d’affaire. Les fortunes ne sont pas dans les mains de ceux qui s’amusent à produire, à confectionner ou à créer, mais bien dans celles qui ne touchent à rien. Il y a trois races d’hommes, mon cher : ceux qui vendent, ceux qui achètent et ceux qui servent de lien entre les uns et les autres. Croyez-moi, les vendeurs et les acheteurs sont les derniers dans l’échelle des êtres.

— C’est-à-dire que celui qui les rançonne est le roi de son siècle ?

— Eh ! pardieu oui ! à lui seul, il faut qu’il soit plus malin que