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ne sais quoi encore, était en course quand j’arrivai, et ne devait rentrer que le soir. Le nom de ce personnage ne m’était pas inconnu, je l’avais souvent entendu prononcer par mes parens : il s’appelait M. de Valvèdre.

La première chose qu’on se demande après une longue séparation, c’est si l’on est content de son sort. Obernay me parut enchanté du sien. Il était tout à la science, et avec cette passion-là, quand elle est sincère et désintéressée, il n’y a guère de mécomptes. L’idéal, toujours beau, a l’avantage d’être toujours mystérieux, et de ne jamais assouvir les saints désirs qu’il fait naître.

J’étais moins calme. L’étude des lettres, qui n’est autre que l’étude des hommes, est douloureuse quand elle n’est pas terrible. J’avais déjà beaucoup lu, et, bien que je n’eusse aucune expérience de la vie, j’étais un peu atteint par ce que l’on a nommé la maladie du siècle, l’ennui, le doute, l’orgueil. Elle est déjà bien loin, cette maladie du romantisme. On l’a raillée, les pères de famille d’alors s’en sont beaucoup plaints ; mais ceux d’aujourd’hui devraient peut-être la regretter. Peut-être valait-elle mieux que la réaction qui l’a suivie, que cette soif d’argent, de plaisirs sans idéal et d’ambitions sans frein, qui ne me paraît pas caractériser bien noblement la santé du siècle.

Je ne fis pourtant point part à Obernay de mes souffrances secrètes. Je lui laissai seulement pressentir que j’étais un peu blessé de vivre dans un temps où il n’y avait rien de grand à faire. Nous étions alors dans les premières années du règne de Louis-Philippe. On avait encore la mémoire fraîche des épopées de l’empire ; on avait été élevé dans l’indignation généreuse, dans la haine des idées rétrogrades du dernier Bourbon ; on avait rêvé un grand progrès en 1830, et on ne sentait pas ce progrès s’accomplir sous l’influence triomphante de la bourgeoisie. On se trompait à coup sûr : le progrès se fait quand même à presque toutes les époques de l’histoire, et on ne peut appeler réellement rétrogrades que celles qui lui ferment plus d’issues qu’elles ne lui en ouvrent ; mais il est de ces époques où un certain équilibre s’établit entre l’élan et l’obstacle. Ce sont des phases expectantes où la jeunesse souffre et où elle ne meurt pourtant pas, puisqu’elle peut dire ce qu’elle souffre.

Obernay ne comprit pas beaucoup ma critique du siècle (on appelle toujours le siècle le moment où l’on vit). Quant à lui, il vivait dans l’éternité, puisqu’il était aux prises avec les lois naturelles. Il s’étonna de mes plaintes, et me demanda si le véritable but de l’homme n’était pas de s’instruire et d’aimer ce qui est toujours grand, ce qu’aucune situation sociale ne peut ni rapetisser, ni rendre inaccessible, l’étude des lois de l’univers. Nous discutâmes un