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La liberté de parler et d’écrire, très restreinte dans l’empire romain comme droit personnel du citoyen, reprenait toute sa plénitude, dans les discours d’apparat prononcés devant l’empereur au nom des provinces et des villes, ou dans les mémoires envoyés pour le même objet et qui étaient ensuite publiés. On s’y exprimait avec une entière franchise sur les personnes et sur les choses, et les discours ou mémoires de ce genre parvenus jusqu’à nous nous étonnent quelquefois par le ton hardi des remontrances. L’habitude de les publier dans des comptes-rendus qui parcouraient l’empire faisait aussi de ces légations, demi-politiques et demi-administratives, une sorte de joute littéraire, où les curies des villes et les assemblées provinciales tenaient à honneur d’être bien représentées. Avaient-elles le bonheur de compter parmi leurs citoyens quelque rhéteur en crédit, quelque sophiste renommé, il était naturellement désigné pour la députation, et ne pouvait refuser à sa patrie le service de son éloquence.

Cyrène possédait alors un de ces hommes dans la personne de Synésius, le plus noble de ses citoyens, et probablement aussi de tout l’empire, s’il est vrai qu’il descendît d’Eurysthènes, premier roi lacédémonien de la race des Héraclides. Ses quinze siècles de noblesse, attestés, nous dit-il, par les actes publics, et confirmés par une longue suite de vieilles sépultures appelées à Cyrène les tombeaux doriens, ne l’avaient pas empêché de se livrer avec passion aux occupations de l’esprit ; il préférait la philosophie aux honneurs politiques comme aux jouissances de la richesse. Sa secte était le nouveau platonisme qu’il avait étudié en Égypte aux leçons de la célèbre Hypatie, restée dès lors son amie, ou plutôt, comme il s’exprimait dans l’exaltation de son langage mystique, sa mère, sa sœur, sa maîtresse, son âme, son tout. Synésius était alors païen avec une propension marquée au christianisme, qu’il embrassa plus tard, et qui le conduisit par une élection violente à l’évêché de Ptolémaïs, malgré lui, et en dépit de certaines doctrines que l’orthodoxie chrétienne ne pouvait avouer. Pour le moment, une correspondance écrite en style élégant, quoique un peu recherché, des poésies pleines d’une gravité mélancolique, surtout son renom de philosophe, étaient, avec l’honnêteté de ses mœurs, ses grands titres à la désignation des Pentapolitains. Lui-même se flattait de faire entendre à un empereur enfant, dont l’éducation n’avait pas été bien philosophique, les austères leçons de la vérité. Il partit donc emportant, avec les décrets des cinq villes cyrénaïques, une couronne d’or qu’il était chargé d’offrir au prince. Son discours d’introduction devait, suivant l’habitude, rouler sur des généralités morales et philosophiques concernant le gouvernement des états ; il réservait pour