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étrangers et beaucoup de gens en France devraient le savoir, les perturbations de 1848 et la réaction de 1851 ont enlevé au libéralisme français la constitution d’un parti. La cause libérale survit sans doute, et commence aujourd’hui à se relever ; mais les liens d’association et de discipline se sont relâchés jusqu’à rompre entre les libéraux et sont encore loin de s’être reformés. Ceux que le parti libéral était jadis habitué à considérer comme ses chefs ont subi la commune loi. Ils ont conservé leurs grandes situations personnelles, mais ils ont perdu l’habitude de gouverner l’opinion, et ont été privés eux-mêmes des avertissemens et des freins que les hommes d’état rencontrent partout autour d’eux, lorsque en contact avec le grand public ils sont contenus par le sentiment de leur responsabilité et sont sans cesse obligés de confronter leurs opinions sur les événemens ou les conduites politiques avec les principes qui sont la raison d’être de leur cause. Telles façons de s’exprimer et d’agir qui seraient des étourderies impardonnables en des chefs de parti militans ne doivent plus être considérées que comme d’innocentes fantaisies chez des hommes qui, rentrés dans la vie privée, se laissent aller à l’humeur du moment, se livrent en simples spectateurs aux caprices d’imagination que les événemens leur inspirent, et cèdent sans résistance à leur penchant personnel dans l’antipathie ou la sympathie qu’ils affichent pour les acteurs qui occupent la scène. La grâce d’état abandonne ceux pour qui cesse la responsabilité. Que personne en France ni à l’étranger ne se méprenne donc sur la portée des opinions émises chez nous par quelques hommes éminens à propos de la question italienne ; ces opinions n’ont qu’une signification personnelle : elles n’engagent point un parti, elles sont désavouées par tout ce qui constitue l’esprit et la vitalité de la cause libérale en France.

Pour s’en convaincre, il n’y a qu’à examiner de près les objections que l’on oppose généralement, dans l’intérêt de la conservation du pouvoir temporel de la papauté, à l’unité de l’Italie. On peut réduire ces objections à trois sortes d’argumens : l’argument tiré de la prétendue nécessité du pouvoir temporel pour assurer l’indépendance spirituelle du pape, c’est l’objection religieuse ; l’argument fondé sur le respect des traités, sur le droit des gens, auxquels s’appuyaient les souverainetés détruites en Italie par le mouvement national : c’est l’objection légitimiste et diplomatique ; enfin l’argument puisé dans cette doctrine de l’ancien régime qui considérait comme une menace pour la France la formation de grands états dans son voisinage : c’est l’objection politique. Aucune de ces objections religieuse, diplomatique, politique, n’est compatible avec les principes du libéralisme moderne.

La nécessité du privilège temporel pour soutenir l’indépendance du spirituel ! Mais tous les progrès de la société européenne depuis trois siècles, depuis la révolution française surtout, ont été accomplis contre ce sophisme et l’ont à jamais réfuté. Où cet argument est-il mieux connu que chez nous ?