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armes, on en demanda aux villes, et, suivant le mot d’un contemporain, « l’impôt du fer fut versé dans des mains barbares. » Cette organisation se fit à loisir ; pour le moment, il suffisait à Eutrope de la présence d’Alaric aux portes de l’Italie : c’était la politique de Rufin reprise hardiment et devenue plus menaçante encore.

Les projets de Stilicon, si longtemps médités, si hardiment conduits dans cette dernière expédition, se trouvaient brisés pour jamais : Stilicon s’était laissé prendre au piège de l’eunuque, ou plutôt il s’y était jeté lui-même par sa faute. Sa colère put s’exhaler en stériles menaces contre le ministre et son stupide maître ; mais passer l’isthme, marcher sur Constantinople en victorieux, se faire le régent des deux empires, il n’y avait plus à y songer. Quel prétexte à une intervention protectrice, maintenant que la paix était signée ? Contre qui Stilicon se porterait-il libérateur ? Tout avait changé en un tour de main de l’eunuque : Alaric était aujourd’hui le fonctionnaire, Stilicon le rebelle. Il ne le comprit que trop et rembarqua ses troupes avec la précipitation d’un fugitif, couvert d’une honte d’autant plus grande que ses débuts avaient été plus glorieux. L’Orient le poursuivit longtemps de ses moqueries, lui reprochant son goût pour les comédiennes ; l’Occident, blessé dans son orgueil, alla jusqu’à l’accuser de trahison. Ses ennemis dirent alors, et bien des fois depuis on lui répéta « que sa destinée était de prendre toujours Alaric et de le laisser toujours échapper. » À ce débordement d’imputations diverses, Stilicon opposa pour sa justification une raison à laquelle on ne crut guère qu’à demi, le respect qu’il avait dû montrer pour l’autorité d’Arcadius, non-seulement comme régent d’une partie du monde romain, mais comme ami de Théodose et tuteur des deux princes. « Il n’avait commis, disait-il, ni faute ni lâcheté ; la sûreté de la Grèce et l’honneur de l’Occident n’avaient point failli dans ses mains : s’il avait mis bas les armes, c’était devant un ordre exprès du prince, dont l’infamie restait tout entière à celui qui l’avait conseillé. » Ce fut le thème adopté pour sa défense par lui-même et par ses amis, et l’insistance que met Claudien à le reproduire en plusieurs endroits de ses poèmes prouve que le crédit de son patron se trouvait assez fortement ébranlé. Il déplore dans de beaux et tristes vers cette dernière ignominie du gouvernement oriental, la plus grande assurément, cette criminelle métamorphose d’un ennemi étranger changé comme par magie en magistrat romain. « Oui, s’écrie-t-il avec amertume, le dévastateur de la Grèce en est aujourd’hui le protecteur obligé ; il préside à l’Illyrie, qu’il vient de piller. Il entre en représentant de l’empereur dans les villes qu’il assiégeait hier ; il les harangue, il les rassure sur les maux de la guerre ; il juge les