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statu quo deviendrait bientôt une source réelle de malaise pour les districts manufacturiers de la métropole, déjà très sensiblement éprouvés par la concurrence indirecte que leur fait l’industrie des Indes, concurrence qui ne peut désormais aller qu’en augmentant avec les libertés publiques désormais assurées à ces populations intelligentes. Lorsqu’on songe à l’étendue colossale de ces possessions, à la population innombrable qui les couvre, ainsi qu’à l’étonnante productivité des terres, on ne peut s’empêcher de regretter que tant de millions affectés depuis tant d’années à des dépenses inutiles n’aient pas été consacrés aux travaux d’utilité publique dont la question du coton fait aujourd’hui sentir si amèrement le besoin.

Si la Chine était en paix à l’intérieur, il est hors de doute que l’Europe n’en pût tirer bientôt de nombreuses balles de lainage, et, avec la patiente industrie des millions d’hommes qui l’habitent, il faudrait à ce pays moins de temps qu’à aucun autre pour donner au monde un échantillon de son savoir-faire en matière de culture. Malheureusement, à côté du but que nous poursuivons, se trouverait un mal inévitable, découlant des instincts propres à la nation chinoise elle-même. L’élément industriel qui y a développé si parfaitement la fabrication des étoffes de soie ne serait pas longtemps à voir l’avantage qui résulterait de la manufacture locale des tissus de coton, et, de pair avec la culture de cette plante, s’élèverait une industrie qui, sans aspirer aux profits de l’exportation, trouverait une ample moisson dans les besoins de la consommation du pays. La distance d’ailleurs rendrait la tentative peu profitable.

L’Australie, cette cinquième partie du monde, se présente naturellement à l’idée comme une des possessions britanniques qui peuvent tendre leur main productive à Liverpool et à Manchester. La partie orientale de ce continent paraîtrait en effet offrir les conditions voulues de succès : température, sol, arrosement. Là, il n’y a pas d’habitudes nuisibles à combattre, pas de culture favorite et routinière à détrôner, pas de défauts pratiques à extirper, pas de gros abus et de grasses sinécures à payer, comme c’est malheureusement le cas aux Indes. Là cependant, à côté de ces avantages refusés à d’autres contrées, les bras indigènes manquent, les seuls qui puissent produire sans immigration et sans acclimatation ; les étrangers propres à un travail fatigant devraient y être amenés de loin et à grands frais. Le traité de paix conclu avec la Chine stipule que l’émigration des coolies ne pourra plus être empêchée. C’est là un gage certain de fortune pour la colonie, déjà si riche de ses propres ressources. Ce que l’Australie pourrait une fois fournir de coton est tout simplement incalculable. Les différentes qualités cultivées aux