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Toutes les contrées jouissant d’une température de 70 degrés Fahrenheit au minimum peuvent produire du coton : cela est vrai en théorie, Quant à la pratique, le prix de revient du lainage est le critérium de là convenance de cette culture, qui ne réussit que là où les terrains sont à bon marché, la main-d’œuvre facile et à bas prix. En Algérie par exemple, les primes fabuleuses payées par le gouvernement français opérèrent d’abord des merveilles d’émulation parmi les colons. Du coton africain fut envoyé à la métropole, qui s’émut et crut un instant que sa colonie allait suffire aux besoins de l’industrie. Il n’en était rien. Le prix offert par le commerce sur classification était loin de couvrir les frais de culture et autres débours, the opération did not pay[1], comme on dirait en Angleterre, et il fallut se résigner à reléguer cette branche de l’agriculture indigène avec les utopies de ces hommes qui cultivent et produisent du coton, la plume à la main, au fond de leur cabinet. La France a un système administratif qui, à côté de ses grands avantages, quand il est appliqué à l’intérieur, n’a certainement pas celui de simplifier les choses, lorsqu’il est étendu à ses colonies, où tout doit être rendu aisé et facile. Tout y est paralysé, et l’initiative industrielle, qui ne veut point d’entraves, et les capitaux, qui préfèrent s’employer ailleurs. Comme on le sait, les indigènes ne travaillent que peu ou point en Algérie, et les gages des Kabyles qui daignent manier la bêche sont trois fois plus élevés que ceux dont les fellahs les plus expérimentés se contentent. Il n’y a pas de routes, et la terre y est relativement assez chère. De toute la population blanche qui habite la colonie, les Maltais seuls peuvent résister aux ardeurs du climat en été, et ces insulaires, qui sont actifs et habiles, exigent une paie élevée. Enfin les colons sont trop pauvres ou trop peu aguerris contre les chances des grandes entreprises pour pouvoir substituer des machines coûteuses, mais efficaces, aux procédés ordinaires d’agriculture[2].

Les possibilités d’un développement excessif de la culture du coton dans le bassin de la Méditerranée n’ont rien de sérieux. Il n’y a que l’Égypte qui offrirait de ce côté quelque marge, car l’espace

  1. Les frais de culture n’étaient pas couverts.
  2. Il y a quelques années, des échantillons de coton récolté on Algérie furent adressés à M. Fleming, membre de l’association commerciale de Manchester, avec prière de formuler son opinion sur la qualité et la valeur de cette fibre. La lettre qui accompagnait les échantillons annonçait que l’Algérie pourrait fournir autant de coton qu’on en voudrait, au prix le plus avantageux, le gouvernement français étant désireux d’attirer dans cette colonie des capitaux et des colons anglais. Un des échantillons, bonne qualité de sea-island, fut évalué à 12 pence 1/2 ; une autre qualité, approchant le Pernambuco, à 10 ponce 1/2 ; enfin deux autres plus courantes, de 7 à 7 pence 1/2 la livre. L’exportation de ce lainage a atteint, de 1854 à 1855, le chiffre de 1,800 balles de moyenne grandeur, et c’est principalement la province d’Oran qui a contribué à cette production intéressante. Dès 1856, la culture paraît diminuer ; en 1857, elle se réduit sensiblement, et il est certain que c’est à la prime de 20,000 francs payée par le gouvernement que l’on doit de voir encore quelques champs de coton dans l’Afrique française. La cause principale de l’abandon de cette culture est dans l’empressement que mirent plusieurs colons à produire du coton pour toucher la prime, et cela sans connaissance spéciale de cette branche difficile de l’agriculture, sans capitaux suffisans, et surtout sans une main-d’œuvre abondante et à bon marché. Lorsque ces points principaux auront reçu satisfaction et lorsque des terrains d’un arrosement facile seront mis à la disposition des capitalistes et à bon marché, l’Algérie pourra produire du coton ; mais ce sont là des conditions qui semblent encore bien difficiles à remplir.