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Ce fut un éclair, un coup de foudre. Hier on parlait de la tempête, mais en chassant loin de soi l’idée d’un naufrage : « Bonne mâture, disait-on, excellent navire, first rate engine, tout en ordre, et un équipage… sans égal. Et puis la terre est là ! » Aujourd’hui la lueur électrique, quoique très courte, a découvert toute l’horreur du danger : « La terre à deux pas, mais des rocs ; plus de mâts, plus de charbon, et la nuit noire !… La coque est intacte, l’équipage plein de bonne volonté. Allons, à l’œuvre, enfans, sauvons notre peau et l’honneur du pavillon ! » Il faut le dire à l’éloge de ce pays étonnant, si le sommeil était coupable et profond, le réveil a été prompt et complet.

En effet, quelles ne seraient pas les conséquences de l’événement, s’il était consommé ? Il y aurait d’abord diminution instantanée, arrêt plus ou moins complet dans la culture du coton aux États-Unis, puis une crise générale amenant avec elle l’inaction dans les districts manufacturiers de la Grande-Bretagne et du continent, suspension de crédit et ruine sur tous les points. Dans les circonstances exceptionnelles où vit cette industrie en Angleterre, un temps d’arrêt, quelque court qu’il soit, dans les approvisionnemens ou dans la fabrication produirait indubitablement une crise. La crainte du fait seulement agit déjà d’une manière assez sensible pour que la fraction financière de la communauté commerciale en soit frappée, et cela s’explique de reste par la raison que tout ce qui affecte de près ou de loin le cotton trade touche à des masses pauvres, nombreuses, et qui en vivent au jour le jour.

En réalité, il ne s’agit pas aujourd’hui de savoir si l’industrie cotonnière serait ou non détruite à jamais : personne ne se préoccuperait d’une absurdité pareille ; mais le temps d’arrêt ayant lieu dans la production du raw material, quelles seront la durée et la gravité de la crise ? Là est toute la question. Le remède vient ensuite, mais secondairement, car tôt ou tard il produira son effet. Il est trouvé. L’important est que le malade ne meure pas avant qu’on puisse l’appliquer. En Angleterre, le cœur du royaume marche de pair avec la prospérité industrielle, et ce qui affecte l’un affecte l’autre au même degré. On aura une idée saisissante du mal matériel et économique qui peut se déclarer lorsqu’on saura qu’en Angleterre la matière première, la main-d’œuvre, les machines et les immeubles affectés à l’industrie cotonnière représentent une somme de trois cent quatre-vingt-dix millions sterling, soit la moitié de la dette nationale ; que dans ce chiffre celui de 150 millions de livres sterling figure comme matériel de roulement, y compris les bâtisses ; que les navires anglais de toute grandeur engagés dans ce commerce forment un total dépassant 2 millions de tonneaux ; que le nombre