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avec les meilleures et les plus importantes de l’ancien monde. Les descendans of the old land n’oublièrent pas non plus qu’ils sortaient de ce pays dont l’industrie fume et mugit par des millions de bouches et de cheminées. Leur activité vagabonde, satisfaite par le bien-être, fut moins attirée par les aventures du far-west, peu à peu abandonné aux nouveaux immigrans. Elle devint plus sédentaire, et tenta de substituer à la fièvre des entreprises lointaines une industrie locale qui augmentât la richesse individuelle dans les villes et dans les ports de l’Union. Un vieux levain de rancune nationale ne fut sans doute point tout à fait étranger à cet élan industriel de frère Jonathan, et s’y unit à l’idée attrayante de jouer un trick à John Bull, en lui marchandant sa ration de raw material[1] et en lui soufflant ses meilleurs customers over the seas[2]. Les États-Unis cherchèrent donc, sans trop le vouloir de prime abord, plutôt instinctivement, à devenir manufacturiers. Les innombrables ressources de leur sol, tant au sud qu’au nord, leur en faisaient une loi, que l’amour-propre national se chargea de mettre en pratique, principalement dans les états non producteurs de coton. Maintenant les tissus de l’Union américaine se rencontrent avec les produits analogues de l’Angleterre sur les marchés de l’Inde, des mers de la Chine, et en soutiennent avec un certain succès la concurrence.

Du moment que les États-Unis devenaient manufacturiers et qu’ils commençaient à utiliser leur propre coton, le grand pas était fait, la ligne de démarcation entre Liverpool et Boston était tirée. Il y eut scission entre les forces productives de l’Union et l’insondable appétit de l’Angleterre. Le monde industriel tout entier s’émut, sans toutefois apprécier suffisamment la nouvelle position qui lui était faite. Dès lors on parla de la nécessité pour le commerce anglais de ne plus dépendre autant du Nouveau-Monde, et les difficultés qui s’élevèrent entre le cabinet de Saint-James et White-House au sujet du Nicaragua firent voir plus clairement encore les inévitables et désastreuses conséquences qui résulteraient pour l’industrie britannique d’une guerre avec les États-Unis. La bonne entente ayant reparu entre les deux pays, on s’endormit un peu sur l’imminence du danger commercial, sans cesser toutefois de s’agiter de loin en loin, comme pour faire voir que l’esprit public n’était pas mort. Ces craintes très légitimes, à travers lesquelles un sentiment de rivalité ne laissait pas de percer, reparurent plus fortes que jamais à la nouvelle très inattendue, malgré les dénégations de la presse anglaise, de la rupture d’un des états à esclaves avec la confédération.

  1. Matériel brut.
  2. Cliens d’outre-mers.