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meurtre, l’ingratitude, la séduction ou l’oppression de l’innocence, et les basses intrigues en vue de ruiner le bonheur d’autrui pour le sien propre. C’est de ceux-là qu’on peut dire : Non solvitur peccatum nisi restituitur patratum (le péché subsiste si le tort n’est réparé). Il est d’ailleurs certaines fautes qu’une réparation civile suffit à effacer : le vol par exemple ; mais celui qui demeure chargé de son crime est toujours puni, sinon dans sa propre personne ou dans ce qui le touche de son vivant, au moins dans ses enfans ou petits-enfans, jusqu’à la troisième ou quatrième génération : Quod sus peccavit luent porcelli (ce que le pourceau a fait de mal, ses petits l’expieront). Par une éternelle, invariable et juste loi, le coupable ou ses héritiers sont entraînés forcément vers l’abîme… « Tout se réunit contre celui qui est poursuivi par la vengeance divine. Un malheur ne vient pas sans l’autre ; des familles tout entières malheureuses ; les enfans reçoivent de l’éducation et agissent tout au contraire ; c’est qu’il faut qu’ils courent vers le malheur ; le ciel ni la terre ne sauraient les sauver ni les secourir… Un malheur vient après l’autre ; voilà un incendie ; tout tourne mal ; la vengeance divine, après quelques délais pour que ses coups soient plus manifestes, s’appesantit évidemment sur cette maison… Mais voici, dites-vous, certaines personnes ou certaines familles sur qui les malheurs s’accumulent, quoiqu’elles aient honorablement vécu aux yeux du monde. C’est qu’il y a eu quelque péché secret dans leur vie, ou dans celle de leur père. » Et Linné cite immédiatement deux exemples, dont un au moins paraîtra singulièrement choisi : « Les enfans illégitimes tombent sous le coup de la Nemesis divina, assure-t-il, pour la faute de leurs parens, — et les mariages entre cousins-germains sont toujours et infailliblement malheureux.

« Moïse, parlant avec le Seigneur sur le Sinaï, demande pourquoi, Dieu étant juste, les bons sont bien souvent malheureux et les méchans heureux. Le Seigneur lui répond : L’homme juge d’après ce qu’il voit, et moi d’après mon omniscience. Regarde vers la source qui est au pied de la montagne. — Moïse se tourne de ce côté, et il aperçoit un farouche cavalier qui met pied à terre, va boire à la source, perd sa bourse en remontait à cheval et s’éloigne. Survient un mendiant tout en sueur ; il boit, ramasse la bourse et s’en va. Arrive un vieillard harassé, hors d’haleine ; il boit et s’assied pour prendre un peu de repos. Le cavalier revient en toute hâte ; il redemande sa bourse et jure de tuer le vieillard s’il ne la rend pas ; celui-ci jure qu’il ne l’a pas même vue ; le cavalier lui passe son épée au travers du corps. — Juste Dieu ! s’écrie Moïse, le scélérat tue ce digne vieillard ! Le Seigneur lui répond : — Homme, c’est là ton jugement ; sache cependant que tout s’est fait par mon ordre. Dans ce bois même, il y a huit ans, ce vieillard a étranglé le père du mendiant pour le voler ensuite ; il a réduit ainsi le fils de sa victime à la dernière misère ; j’ai donné à celui-ci l’argent que le guerrier avait obtenu par la violence : c’était double justice. »

On voit que Linné veut échapper par le dogme de la solidarité humaine