Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 32.djvu/181

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Ainsi cette grande expérience accomplie pendant trois siècles sur des milliers de lieues carrées, entre des millions d’individus, proclame hautement que le croisement des trois groupes qui se sont donné rendez-vous en Amérique est un métissage, et nullement une hybridation, par conséquent que ces groupes sont trois races d’une même espèce, et non pas trois espèces distinctes. Est-il besoin après cela d’insister sur d’autres exemples ? Nous ne pourrions trouver des termes de comparaison plus éloignés que l’homme blanc, l’homme noir et l’homme rouge[1], et certes ce qui est vrai pour eux ne peut que l’être pour les autres groupes[2]. L’humanité tout entière ne forme donc qu’une seule espèce ; les groupes qu’on y reconnaît ne sont que des races de cette espèce.

Telle est la conclusion à laquelle conduisent, non pas une théorie, non pas une idée préconçue ou dépendante de doctrines puisées à une autre source que les sciences naturelles, mais uniquement l’observation et l’expérience ; non pas l’observation s’exerçant depuis quelques années sur un petit nombre de faits isolés, l’expérience portant sur quelques générations d’animaux ou de végétaux, mais l’observation et l’expérience agissant depuis des siècles, embrassant toutes les espèces animales ou végétales soumises à l’action de l’homme pour conclure d’elles à lui. Si la méthode est juste, s’il n’y a réellement, comme nous le pensons, qu’une seule physiologie générale soumettant aux mêmes lois tous les organismes vivans, il n’existe qu’une seule espèce d’hommes. Quiconque croit à l’existence de plusieurs espèces d’hommes doit admettre pour elles une physiologie à part, étrangère aux végétaux et aux animaux, se manifestant dans une foule de circonstances et surtout dans les phénomènes de la reproduction, c’est-à-dire dans ceux où tout concourt à démontrer une identité fondamentale. Entre deux croyances qui entraînent des conséquences aussi opposées, le naturaliste, le physiologiste ne peuvent hésiter. Voilà pourquoi nous croyons à l’unité spécifique de l’homme, pourquoi nous combattons ceux qui proclament la multiplicité des espèces humaines.


A. DE QUATREFAGES.

  1. Je me conforme ici à un langage presque convenu en désignant sous le nom d’homme rouge l’ensemble des races américaines ; mais on sait que déjà d’Orbigny avait distingué plusieurs races dans ces populations si longtemps confondues, et les renseignemens réunis aujourd’hui montrent qu’il faut porter la division plus loin encore que ne l’avait fait notre célèbre voyageur.
  2. Nous reviendrons sur cette question en répondant aux objections des polygénistes.