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vers les contrées où le noir affranchi trouve parfois, malgré les préjugés, une compagne blanche et la négresse un époux blanc, y a-t-il dans l’immense majorité de ces unions quelque chose qui rappelle cette exaltation des instincts reproducteurs qui, nous l’avons vu, est presque toujours nécessaire pour amener le croisement des espèces ? Est-il nécessaire, comme pour le chien et le loup, le lièvre et le lapin, le lama et la vigogne, que les deux époux soient élevés ensemble pour vaincre leur répugnance mutuelle ? Ne voit-on pas au contraire à chaque instant ces unions s’accomplir à la suite de rencontres momentanées, fortuites, ou dans les conditions les plus défavorables en apparence ? Nous ne pouvons sans doute entrer ici dans des détails ; mais que le lecteur se rappelle tout ce qu’il a lu ailleurs, qu’il songe aux scènes de débauche et de violence si justement reprochées à l’esclavage, qu’il se rappelle ces maîtres éleveurs de mulâtres qui s’entourent d’un sérail pour se procurer à meilleur compte des esclaves qui sont leurs fils, et qu’ils destinent à les servir ou à alimenter un infâme commerce, et il reconnaîtra que l’effrayante immoralité de certains propriétaires fournit ici des faits presque trop probans, car toutes ces unions sont fécondes, car, partout où le nègre et le blanc sont en contact, on voit naître et se développer une population mulâtre. S’il fallait ajouter à ce fait général des preuves de détail, on en trouverait par exemple dans les traités de médecine légale, qui, à propos de questions bien différentes, ont parlé de jumeaux différens par la couleur, et qui ont. pour mère tantôt une blanche, tantôt une négresse. Ainsi une négresse mit à la fois au monde trois enfans : l’un était noir, le second blanc, le troisième cabre[1]. L’égalité d’action se montre ici tout aussi clairement qu’entre races animales ou végétales.

À ne considérer donc que les parens, le croisement des groupes humains présente tous les caractères du métissage, et nullement ceux de l’hybridation ; ces groupes sont des races et non des espèces[2]. Voyons si l’étude des produits conduit à la même conclusion. — Nous avons dit que le mode général de transmission des caractères et les rapports de ressemblance avec les deux parens ne fournissent guère que des présomptions pour la solution du problème qui nous occupe ; mais, d’une, part, on a exagéré parfois la portée des observations empruntées à cet ordre de faits, en même, temps qu’on y cherchait des preuves en faveur des doctrines que

  1. Le cabre est dans certains états d’Amérique le fils d’un mulâtre et d’une négresse.
  2. Depuis Buffon jusqu’à Müller et à Humboldt, le résultat du croisement entre les différens groupes humains a été le principal et le plus sérieux argument opposé aux polygénistes. Ceux-ci ont essayé d’y répondre par diverses objections dont quelques-unes sont discutées dans la présente étude. Nous examinerons les autres dans un chapitre spécial de ce travail.