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entièrement semblables ? Ceci est une question de fait, que la science ne doit pas aborder, car ni l’observation ni l’expérience ne lui fournissent la moindre donnée. Tout ce qu’elle peut affirmer, c’est que les choses sont comme si chaque espèce avait commencé par une paire unique, et cette conclusion rigoureusement déduite des faits n’est, on le voit, qu’un des termes de notre définition de l’espèce[1].


III. — DU CROISEMENT ENTRE GROUPES HUMAINS.

De tout ce que nous venons de voir, il résulte que, lorsqu’il s’agit des lois générales de la reproduction, on peut appliquer aux animaux les résultats fournis par l’étude des végétaux. Peut-on conclure de l’animal à l’homme ? La réponse à cette question ne saurait être douteuse. Dans les deux règnes, les appareils sont de même nature, les élémens appelés à jouer un rôle actif ont exactement la même structure anatomique, les phénomènes physiologiques sont identiques. Si donc les groupes humains constituent autant d’espèces différentes, nous devrons constater dans leur croisement les phénomènes généraux de l’hybridation, s’ils ne sont que des races d’une même espèce, nous devrons rencontrer ceux du métissage. Voyons ce que disent les faits.

Les unions entre hommes appartenant à des groupes divers sont-elles partout et toujours faciles ? Ces unions sont-elles partout et toujours fécondes ? On a dit non pour quelques groupes. Nous examinerons plus tard avec soin ce que valent ces assertions, car il ne faut laisser aucun doute à ce sujet[2]. Bornons-nous à indiquer ici ce qui se passe entre les deux extrêmes, entre le nègre et le blanc. L’esclavage les a rapprochés depuis environ trois siècles, et de nombreuses unions ont eu lieu entre ces deux types. Est-il nécessaire d’en préciser les résultats ? Qu’il s’agisse de ces comptoirs où les deux races se rencontrent avec une liberté égale ; qu’on étudie les colonies où le nègre vit esclave ; qu’on tourne ses regards

  1. Bien que la définition de M. Chevreul paraisse conçue en termes un peu plus absolus que la mienne, la réserve que je fais ici ne pouvait échapper à un esprit aussi judicieux. Elle ressort de tout ce qui précède ; elle est formellement exprimée quelques lignes plus loin. Je suis heureux de constater cet accord dans des questions aussi ardues. Lorsque j’ai donné pour la première fois la définition de l’espèce, j’avais le tort de ne pas connaître celle de M. Chevreul. Mon illustre confrère et collègue y avait été conduit surtout par l’étude des végétaux et des plantes cultivées. J’y suis arrivé par l’examen des animaux et des espèces domestiques. La similitude des résultats est certainement une preuve de plus de l’identité des lois qui régissent les deux règnes.
  2. Après avoir exposé les raisons qui militent directement en faveur des doctrines monogénistes, j’examinerai séparément les principales objections adressées à ces doctrines. Je reviendrai alors sur certains détails que j’ai été obligé de négliger pour ne pas faire de digressions.