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en disant que confondre encore la race et l’espèce, ne pas admettre que, sous l’empire des conditions d’existence actuelles[1], celle-ci est quelque chose d’essentiel, de fondamental dans l’ordre général des choses, c’est refuser à l’expérience, à l’observation toute autorité dans les sciences.

Ici se présente une difficulté : les descendans d’un hybride végétal ou animal qui, en vertu de la loi de retour ou par le fait de croisemens successifs, ont repris tous les caractères de l’une des deux espèces primitives, doivent-ils être regardés comme appartenant à cette espèce au même titre que les individus dont les pères n’ont jamais mêlé leur sang à un sang étranger ? Pour quiconque se tiendra sur le terrain de l’observation et de l’expérience, la, réponse n’est pas douteuse. Oui, ces arrière-petits-fils d’un père ou d’une mère hybride doivent être considérés comme appartenant en entier à l’espèce dont ils reproduisent intégralement les caractères. Qu’il y ait eu absorption ou élimination d’un type par l’autre, que la sélection répétée de l’un des deux sangs momentanément fusionnés ait rendu inappréciable ou réellement impuissante l’influence de l’autre, toujours est-il qu’on ne saurait refuser à l’individu qui présente ces caractères la qualité d’animal d’espèce pure. Voilà pourquoi, tout en reconnaissant que nos espèces domestiques peuvent s’être croisées plus ou moins souvent, nous n’en regardons pas moins leur distinction spécifique comme aussi bien fondée que celle des espèces sauvages le plus à l’abri de tout soupçon de croisement. Agir autrement serait se jeter dans des abstractions inapplicables et qui n’auraient plus rien de scientifique. Évidemment de nos jours un bouc et un bélier d’Italie, à quelque race qu’ils appartiennent, sont bien un vrai bouc, un vrai bélier, alors même qu’ils compteraient parmi leurs ancêtres quelque titire ou quelque musmon du temps d’Eugénius[2].

Avec M. Chevreul, qu’il faut encore citer ici, prenons donc un de ces ensembles d’animaux plus ou moins semblables, et dont les unions, toujours faciles, toujours fécondes, donnent naissance à des métis ; remontons par la pensée jusqu’à l’origine : nous le verrons se décomposer en familles, dont chacune se rattache à un père et à une mère ; à chaque génération, nous verrons décroître le nombre de ces familles, et nous arriverons ainsi à trouver pour terme initial une paire primitive unique. — Cette paire unique a-t-elle réellement existé ? Y a-t-il eu au début plusieurs paires

  1. Suivant en cela l’exemple de M. Chevreul, je tiens à répéter que tout ce que je dis de l’espèce et des races s’applique seulement aux temps sur lesquels peuvent porter l’expérience et l’observation.
  2. Auteur du VIIe siècle cité par M. Isidore Geoffroy pour une pièce de vers latins où se trouvant les deux noms donnés aux hybrides de chèvre et de mouton.