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Voilà pour le passé et pour le présent. L’avenir modifiera-t-il cet état de choses ? Le fait paraît excessivement peu probable, mais nous ne voudrions point en affirmer l’impossibilité absolue. La puissance de l’homme est bien grande, et moins que personne nous sommes porté à lui assigner des limites dont la détermination reposerait sur notre savoir actuel. Cette puissance s’est déjà montrée d’une manière frappante dans l’ordre des faits mêmes dont il s’agit. On ne connaît pas un seul cas d’hybridation entre mammifères sauvages, et l’homme a obtenu des unions fécondes non-seulement entre espèces résignées depuis des siècles à sa domination, mais encore entre celles qu’il est le moins prêt à soumettre, entre le tigre et le lion. Il a fait bien plus, lorsqu’en dépit de tentatives cent fois infructueuses il a créé des séries d’hybrides. Ira-t-il plus loin encore ? Fixera-t-il ces êtres mixtes de manière à obtenir une lignée durable, intermédiaire entre le lama et la vigogne, entre le lièvre et le lapin, entre le bouc et le mouton ? Nos successeurs seuls pourront répondre ; mais ces éventualités vinssent-elles à se réaliser, on n’en saurait pas moins que ces races hybrides se sont établies à travers des difficultés sans nombre, sous l’influence incessante de l’homme, et, pour être moins absolu, le contraste entre elles et les races métisses n’en persisterait pas moins.

Ainsi, tout en faisant à ceux dont nous combattons les doctrines les plus larges concessions, en leur accordant comme possible la réalisation d’un fait qui ne s’est produit depuis les temps historiques nulle part dans le monde entier, le métissage et l’hybridation n’en restent pas moins deux phénomènes parfaitement distincts. Le premier se passe uniquement entre races, le second uniquement entre espèces. Il y a donc là un moyen expérimental de distinguer l’une de l’autre ces deux sortes de groupes si souvent confondus.

Certes nous ne sommes pas les premiers à tirer cette conclusion des résultats du croisement. Sans remonter au-delà de Buffon, on rencontre bien souvent dans l’œuvre de ce grand maître des exemples de cette argumentation. Sous une forme ou sous une autre, elle a été mille fois reproduite ; on l’a même poussée beaucoup trop loin, et en exagérant ou en restreignant certains faits et leurs conséquences légitimes, on en est parfois arrivé à faire de la fécondité l’attribut à peu près exclusif des métis, à la refuser presque absolument aux hybrides. M. Chevreul, M. Isidore Geoffroy et d’autres naturalistes avant nous ont à bon droit fait justice de ces exagérations ; mais il s’était produit, surtout depuis quelques années, des exagérations en sens contraire contre lesquelles ces mêmes auteurs ont protesté, et qu’il fallait examiner à leur tour en tenant compte de toutes les données fournies par la science actuelle. C’est ce que nous avons entrepris, et nous croyons pouvoir conclure cette étude