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par plus de douze mille chameaux. Dernièrement, j’ai visité toute la partie occidentale de la zone où les deux espèces[1] vivent ensemble ; mais je n’ai jamais entendu parler d’un croisement intentionnel et prémédité entre elles. » M. de Khanikof ajoute qu’il n’a pas non plus entendu dire qu’on prît des mesures pour l’empêcher ; mais des renseignemens oraux qu’il a bien voulu ajouter à sa note écrite il résulte qu’il n’a pas rencontré un seul exemple de ce croisement, et quiconque aura lu dans Buffon même l’histoire des froides amours des animaux dont il s’agit comprendra aisément que, si le fait se produit quelquefois, il doit au moins être extrêmement rare. Il faut donc renoncer à citer le chameau et le dromadaire comme fournissant un exemple d’hybridation[2].

Passons maintenant à quelques exemples qu’on est surpris de voir invoquer comme preuve d’une fécondité continue entre espèces différentes. Un savant Suédois, Hellenius, a croisé le bélier de Finlande peut-être avec une chevrette de Sardaigne et plus probablement avec une mouflonne[3]. Il a obtenu des hybrides. Une seule fois ces animaux ont été unis entre eux et ont donné un petit. Dans trois autres cas, c’est le bélier lui-même qui a été rapproché de ces hybrides d’abord, puis d’un produit quarteron. Dès cette troisième génération, on a vu reparaître complètement les caractères du mouton. Nott conclut de ces faits qu’on peut produire et perpétuer une race mixte de cerf et de mouton. N’est-ce pas forcer, jusqu’à la dénaturer, la signification de cette expérience ? N’est-il pas évident qu’elle ne fait que reproduire chez les animaux ce que Kœlreuter et

  1. Le chameau et le dromadaire. M. de Khanikof estime que cette zone est comprise entre le 34e et le 39e degré de latitude nord.
  2. Depuis quelques années, on a dit du yak et du zébu ou bœuf à bosse de l’Inde ce qu’on avait dit depuis si longtemps du chameau et du dromadaire. Sans repousser les témoignages recueillis sur cette question, il est permis de faire observer que des détails précis sont nécessaires pour les faire définitivement accepter ; mais fussent-ils reconnus vrais dans tous leurs détails, ils ne prouveraient pas encore l’existence d’une hybridation comparable au métissage. Nous ne connaissons que très imparfaitement les diverses races que le bœuf, cette espèce dont la domestication remonte à l’origine des sociétés humaines, a données à l’extrême Orient et à l’Asie centrale. S’il nous était arrivé de l’Inde et du Thibet quelques rares individus de basset et de lévrier, certes ils auraient été regardés comme des espèces, peut-être comme des genres différens. En les voyant s’unir sans peine et donner des produits indéfiniment féconds, on n’eût pas manqué de voir dans ce fait un exemple d’hybridation, et nous savons qu’il n’y eût eu qu’un simple métissage. Cet exemple doit au moins nous engager à suspendre tout jugement lorsqu’il s’agit du zébu et du yak.
  3. M. Isidore Geoffroy se demande s’il n’y a pas eu erreur dans la détermination du savant suédois, et parait pencher pour l’affirmative. Le chevreuil, d’après quelques auteurs que cite notre savant confrère, n’existe pas en Sardaigne, et le mouflon, bien peu connu au dernier siècle des médecins suédois, aurait été confondu avec cette espèce de cerf.