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celles d’un cœur bourrelé de remords !… Mais le repentir est comme le feu, il peut tout purifier…

Pendant que Hopwell parlait ainsi, ses traits contractés reprenaient leur calme habituel. Les souffrances atroces contre lesquelles il avait lutté pendant une heure s’apaisaient par degrés ; on eût dit qu’il cédait au besoin de dormir. Peu à peu ses yeux se fermèrent ; il tomba dans un engourdissement complet ; ses cheveux noirs faisaient ressortir encore la blancheur de son front, sillonné de rides précoces. La tête renversée sur son fauteuil, les jambes croisées, les bras tombans, il semblait rêver et repasser dans son souvenir les scènes du premier âge, vers lesquelles l’esprit se réfugie aux momens solennels, parce qu’elles rappellent des jours de candeur et d’innocence. Le médecin mandé par le Cachupin ne put arriver que le lendemain vers midi. C’était trop tard ; le poison versé par Cora avait accompli son œuvre avec une effrayante rapidité. Le médecin prit la main de Hopwell, et déclara qu’il avait cessé de vivre depuis le matin.

Si le mourant avait pardonné à celle qui lui donnait la mort, la justice ne pouvait renoncer à ses poursuites. On se mit donc activement à rechercher Cora dans toutes les directions. Le vieux nègre à cheveux blancs qui stationnait avec sa compagne au bord de la Sabine pour passer les voyageurs dans son bac déclara qu’une jeune femme de couleur, presque blanche, s’était présentée pour qu’on lui fît traverser la rivière ; mais il avait refusé de la conduire sur la rive mexicaine. Il devenait à peu près certain que Cora errait dans les marais qui bordent la Sabine. Après avoir battu pendant quatre ou cinq jours les terres basses couvertes de sombres cyprès, le shériff découvrit une nuée de vautours noirs qui tournoyaient dans l’espace et s’abaissaient progressivement vers le sol. C’était l’indice de la présence d’un corps mort, et le shériff se dirigea vers ce point. Un spectacle hideux frappa ses regards ; un cadavre gisait sur la terre fangeuse : c’était celui de Cora, morte de faim dans ces solitudes. Des vêtemens en lambeaux couvraient à peine ce corps naguère plein de vie et de jeunesse, maintenant souillé de boue et devenu la proie des oiseaux du ciel. Son mouchoir de mousseline blanche, arraché par la serre crochue d’un vautour, était couvert de sang, et un premier coup de bec attaquait déjà cet œil noir qui lançait, quelques jours auparavant, des éclairs de passion et de fureur jalouse.


TH. PAVIE.