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du jour. Ils éprouvaient l’un et l’autre cette surprise qui console et qui effraie en même temps, parce que l’âme humaine ne peut passer de la douleur à l’espérance sans craindre d’être dupe de quelque illusion.

Le silence que gardaient don Pepo et doña Jacinta avait toute l’éloquence d’une réponse affirmative. Hopwell le comprit ainsi, et, reprenant la parole :

— Votre acquiescement à ma proposition, ajouta-t-il, me comble de joie. Grâce au ciel, grâce à vous, je vais m’arracher à cette vie qui n’est bonne qu’à nourrir le spleen… La solitude ne vaut rien à celui qui ne trouve pas la paix au fond de son cœur… Dans deux jours, nous irons ensemble à la Nouvelle-Orléans ; là, mon homme d’affaires terminera d’une façon légale et authentique le petit arrangement dont nous venons de poser les conditions.

— Qu’il en soit ainsi, señor Hopwell, répondit le Cachupin. Et, tirant de son doigt une grosse bague en or : — Acceptez, dès aujourd’hui, ce petit présent comme gage de notre reconnaissance.

Hopwell prit la bague et la regarda avec attention : on y voyait représenté un navire, toutes voiles dehors, avec cette légende : Mariposa, Dios te guarde ! — Gardez, gardez ce joyau, qui rappelle des souvenirs douloureux, cruels, répondit John Hopwell en repoussant avec vivacité le présent que lui offrait don Pepo. Il ne m’appartient pas de le porter !

Puis, craignant d’avoir blessé son hôte par la brusquerie de son refus : — Plus tard, ajouta-t-il, quand l’affaire sera conclue et terminée, il sera temps pour nous d’échanger des présens, comme le font les diplomates après la signature d’un traité.


IV

Si les chemins de fer n’existaient pas encore aux États-Unis à l’époque où se passèrent les événemens que nous racontons ici, depuis plusieurs années déjà les bateaux à vapeur sillonnaient les fleuves de l’Amérique du Nord. De grands steamers partis de la Nouvelle-Orléans commençaient à remonter les affluens du Mississipi, reliant ainsi à la capitale de la Louisiane des localités lointaines, et qui ne tardèrent pas à devenir des centres de populations d’une importance considérable. Les bateaux qui naviguaient sur la Rivière-Rouge s’arrêtaient pendant l’été et l’hiver au village d’Alexandrie, où les basses eaux, roulant sur des rocs, forment des rapides infranchissables ; mais au printemps, à l’époque des crues, lorsque les neiges des Montagnes-Rocheuses, en se fondant, versent dans le lit des fleuves des torrens d’une eau jaune et bourbeuse, ils s’avançaient