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au loin un parfum enivrant. Les rameaux noirs des cyprès se couvraient de ces feuilles d’un vert tendre et finement découpées qui signalent dans ces climats le retour de la saison chaude. De toutes parts la sève débordait ; on voyait d’heure en heure le feuillage s’épaissir et les troncs noueux disparaître sous les pousses nouvelles. Des myriades d’insectes répondaient au réveil de la végétation par un bourdonnement confus. À travers les branchages, le petit écureuil au dos gris et le gros écureuil au pelage jaune gambadaient et couraient en se jouant, sans prendre garde aux deux cavaliers, dont les chevaux, animés, eux aussi, par l’air du printemps, faisaient entendre des hennissemens sonores. De temps à autre, des. chevreuils, troublés dans leur repos, se levaient par un brusque mouvement, et, prenant leur course à travers la forêt, disparaissaient, légers comme des ombres, dans la profondeur des halliers.

Dans ces grands espaces où rien ne marque les distances, on ne se promène guère sans faire quatre ou cinq lieues de chemin. Lorsqu’ils revinrent à la maison, Hopwell et le Cachupin n’avaient pas été absens moins de trois heures. Doña Jacinta, qui ne pouvait être séparée de son mari sans ressentir une vague inquiétude, courut précipitamment à sa rencontre.

— Monsieur Hopwell, dit-elle en s’adressant au planteur, vous m’avez gardé Pepo trop longtemps ; je ne le laisserai plus aller avec vous !

— Une autre fois, señora, répliqua Hopwell en s’éloignant, je vous emmènerai tous les deux, et le temps passera plus vite pour chacun de nous.

— Eh bien ! dit Doña Jacinta à son mari, as-tu parlé du départ ? Quand nous remettons-nous en route ?

— J’ai parlé, mais il a évité de répondre… Ce soir, nous prendrons la parole tous les deux, et nous obtiendrons qu’il nous donne notre congé. il serait impoli de le quitter brusquement…

Le même jour, au dîner, don Pepo et Doña Jacinta entretinrent leur hôte de la résolution qu’ils avaient arrêtée. Ils voulaient partir le lendemain matin, de bonne heure.

— Attendez encore un peu, dit Hopwell ; qui vous presse ?… D’ailleurs je partirai peut-être avec vous ; j’ai un voyage à faire…

Ces paroles arrivèrent aux oreilles de Cora, qui se tenait assise en un coin de la salle à manger, l’œil demi-clos, dans l’attitude d’une muette rêverie. Elle portait une haine violente à ces deux étrangers que son maître s’efforçait de garder près de lui. La présence de doña Jacinta dans l’habitation lui était devenue insupportable. Elle ne pouvait s’habituer à voir cette femme d’une race supérieure à la sienne, parée de toutes les grâces que la vertu ajoute à la beauté,