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— Eh bien dit Hopwell, permettez-moi de renverser la question : je suis votre obligé, et je vous demande de prolonger près de moi votre séjour… C’est le hasard qui m’a jeté dans ces solitudes, je suis né comme vous en Europe ; des étourderies de jeunesse et la passion des aventures m’en ont chassé. L’Amérique vous repousse, l’Europe vous est ouverte, don Pepo ; mais moi…

— Hélas ! dit le Cachupin, j’avais débarqué au Mexique avec l’espérance d’y faire une brillante fortune ; les révolutions en ont décidé autrement. Établi au Texas, j’y avais monté une maison de commerce assez considérable, et je venais d’épouser Jacinta. Rien ne manquait à mon bonheur, lorsqu’une série de catastrophes est venue fondre sur moi. Le père de Jacinta était à la fois le propriétaire et le capitaine d’un brick de commerce, qui naviguait dans le golfe du Mexique. Comme il revenait de la Nouvelles-Orléans avec une riche cargaison, il fut attaqué par des corsaires, — d’autres disent par des négriers, c’est tout un, n’est-ce pas ? — et le père de ma femme, enlevé par un boulet sur la dunette de son navire, mourut avant d’avoir vu tout ce qu’il possédait passer entre les mains des brigands… Ainsi périt la Mariposa

— C’était le nom du brick ? demanda Hopwell en frappant avec sa cravache les hautes herbes que foulait son cheval.

— Oui, monsieur ; à partir de cette fatale journée, elle a cessé d’existé pour nous, cette Mariposa, qui faisait la fortune de Jacinta et de son père… Il me restait mon commerce, et rien n’était perdu pour moi ; mais les révolutionnaires ayant résolu de chasser les Espagnols de naissance, qui leur faisaient ombrage, j’ai dû tout quitter et m’enfuir, n’emportant rien avec moi, rien que le dernier et souverain bien que la mort seule pourra me ravir, l’épouse chérie qui a lié son sort au mien…

— C’est assez pour être heureux, dit tristement Hopwell, et je changerais mon sort contre le vôtre…

— C’est à peine si j’ai pu réaliser une somme d’environ cent onces d’or avant de partir, continua le Cachupin. Que ferai-je avec ce petit capital ? Je ne le sais pas encore.

— Nous parlerons de cela à loisir, répondit Hopwell. Restez, restez ici, amigo, attendez que les événemens se dessinent, et alors vous pourrez prendre un parti.

Ainsi s’entretenaient les deux cavaliers, tandis que leurs chevaux trottaient sur l’herbe verte. Ils allaient à l’aventure, contournant de petits lacs sur lesquels des arbres gigantesques, à moitié étouffés par des lianes grosses comme des câbles, laissaient pendre leurs. lourdes branches. Au bord des ruisseaux, de grands magnolias au tronc grisâtre et lisse dressaient dans les airs leurs têtes verdoyantes constellées de larges fleurs blanches comme la neige, et qui répandaient