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colibri, qui attend pour paraître l’épanouissement des fleurs, dont il aspire le suc. Déjà le caïman s’éveillait au fond des eaux ; la tortue, sortant de sa longue léthargie, entreprenait ses lentes pérégrinations à travers les bois. Au bord des lacs, les aigles pêcheurs s’empressaient de préparer un asile à leurs couvées ; ils passaient d’un vol rapide, apportant dans leurs becs crochus de grosses branches sèches et des racines flexibles, qu’ils disposaient en forme de nids sur la cime des platanes.

Habitué à une vie active, Hopwell avait coutume de faire chaque matin, et quel que fût le temps, une promenade à cheval. Don Pepo le Cachupin, moins tourmenté du besoin de.se mouvoir, restait d’ordinaire accoudé à la fenêtre, près de doña Jacinta, fumant sa cigarette et savourant les douceurs du far niente. Courir au-devant des horizons ou les appeler à soi par la conternplation, ce sont deux manières également appréciables de s’identifier avec la nature extérieure ; mais Hopwell, qui était un homme énergique, ne comprenait pas les placides allures de son hôte.

— Don Pepo, lui disait-il souvent, voulez-vous que je fasse seller votre cheval ?…

— Demain, demain, répondait le 'Cachupin en souriant, et il restait à la même place, le sombrero rabattu sur les yeux, sa grande mante rayée jetée sur l’épaule, roulant des cigarettes. Un matin cependant il fit seller son cheval et partit avec Hopwell.

— À la bonne heure, dit celui-ci ; vous vous décidez enfin à courir la forêt.

— Oui, répliqua le Cachupin, parce que j’ai le désir de m’entretenir avec vous, et dans cette solitude nous pourrons parler en toute liberté. Il y a longtemps déjà, monsieur Hopwell, que nous sommes chez vous…

— Longtemps !… Mais huit jours à peine…

— Enfin une semaine s’est écoulée depuis que nous sommes vos hôtes ; il a cessé de pleuvoir, et le ciel a repris sa sérénité. Jacinta est parfaitement remise de ses émotions et de ses fatigues. Il faut que nous prenions congé de vous.

— Pour aller où ?

— À la grâce de Dieu, dit le Cachupin en soupirant.

— La vie est triste ici. j’en conviens, reprit Hopwell ; depuis que j’habite ces solitudes, je n’y ai passé encore que huit jours heureux…

— Mon cher hôte, répliqua le Cachupin, l’hospitalité est douce à offrir, je suis d’un pays où l’on sait pratiquer cette noble vertu, mais nous avons tous dans le cœur un fonds de fierté… En nous accueillant chez vous, vous avez fait votre devoir de caballero, et moi, je dois faire le mien en vous déclarant qu’il nous est impossible de vous être à charge plus longtemps.