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aux communes d’assurer un logement et un traitement aux institutrices, soit par une allocation régulière inscrite à leur budget, soit en acceptant des legs ou donations pour cette destination particulière. Enfin la loi de 1850 inaugura une ère nouvelle en rendant la création d’une école de filles obligatoire pour toutes les communes ayant 800 âmes de population agglomérée[1] : loi tardive et incomplète, qu’il faut pourtant accepter comme un bienfait ou tout au moins comme une espérance. Il est à remarquer que, d’après le texte même de la loi, le conseil académique peut autoriser l’introduction des filles dans les écoles de garçons, quel que soit d’ailleurs le chiffre de la population de la commune. Il n’a qu’à user de cette liberté pour prolonger la situation à laquelle on a voulu mettre fin, et pour rendre la loi inutile[2].

Depuis ces dernières années, le nombre des écoles de filles et des élèves qui les fréquentent a augmenté, tandis qu’un mouvement en sens inverse avait lieu dans les écoles de garçons. Néanmoins la différence en faveur des écoles de garçons est encore aujourd’hui de 470,000 élèves[3]. On a peine à se rendre compte de cette infériorité de l’éducation des filles. Elles ont certainement le même droit que les garçons à recevoir l’instruction élémentaire, et l’état a les mêmes devoirs envers elles. Quand nous ne serions pas tenus par un sentiment de stricte justice à ne pas les priver du premier de tous les biens, et à ne pas les condamner, en les retenant dans l’ignorance,

  1. Sur le nombre total des institutrices, plus de 4,000 ne jouissent que d’un revenu inférieur à 400 fr. Près de 2,000 ont entre 100 et 200 fr. Le produit de la rétribution des élèves payantes est presque partout insignifiant. C’est seulement depuis la loi du 14 juin 1859 que les conseils municipaux portent la rétribution scolaire des filles à leur budget et la font recouvrer par le percepteur.
  2. La circulaire du 29 juillet 1819 avait réglé qu’aucune institutrice ne pourrait, sous quelque prétexte que ce fût, recevoir des garçons dans son école. Cette disposition réglementaire n’était guère observée, et les préfets se refusaient avec raison à en reconnaître l’importance, puisqu’on tolérait dans le même temps la présence des filles dans les écoles de garçons. S’il fallait choisir entre deux maux, il est clair qu’il y aurait plus d’inconvéniens à confier des filles à un instituteur que des garçons à une institutrice. L’administration actuelle l’a pensé, car, par un décret du 31 décembre 1853, elle a modifié l’application de la loi de 1850 en permettant de confier à des institutrices « la direction des écoles publiques communes aux enfans des deux sexes qui, d’après la moyenne des trois dernières années, ne reçoivent pas annuellement plus de 40 élèves. » Tout en approuvant cette disposition, il sera permis de dire que la séparation des sexes dans les écoles devrait être un principe absolu, et que la justice et l’intérêt de la société sont d’accord pour exiger la fondation d’une école spéciale de filles dans toutes les communes de France.
  3. L’instruction primaire est donnée en France à 1,950,000 garçons et à 1,480,000 filles : différence, 470,000. Il y a 36,300 écoles communales de garçons et 13,000 écoles communales de filles. On a remarqué en Angleterre une disproportion analogue entre les sexes. Sur 367,894 couples mariés pendant les années 1839, 1840 et 1841, 122,458 hommes et 181,378 femmes ont déclaré ne pas savoir signer.