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spéciaux et des bibliothèques circulantes. Des associations locales se chargent de fournir aux ouvriers, moyennant un prix d’abonnement très peu élevé, des livres amusans et des livres instructifs[1]. Les livres ne manquent pas en France, ils manqueraient. La tâche d’écrire un livre populaire est toujours abandonnée chez nous à des écrivains sans réputation et sans talent, qui offensent les ouvriers en affichant la prétention de les instruire, ou se rendent ridicules à leurs yeux en leur empruntant leurs idées et jusqu’à leur langage. La vérité est qu’il n’y a pas d’autre précepte ici que de parler le meilleur français, et d’exprimer constamment les sentimens les plus naturels et les plus nobles. L’art d’enseigner ne consiste pas à descendre au niveau de son auditoire, mais à l’élever jusqu’à soi.

Tous ceux qui se sont occupés de l’instruction publique, et le nombre en est grand dans notre pays depuis la révolution, ont insisté sur l’importance de l’éducation des femmes ; cependant c’est à peine si on découvre quelque insignifiant article sur ce point capital dans les nombreuses lois qui ont successivement régi l’instruction primaire. L’université impériale, pourtant si absorbante, ne s’était pas souciée de se charger des écoles de filles ; elle les avait laissées sous la surveillance des préfets, qui naturellement ne les surveillaient pas. Une circulaire du 19 juin 1820 avait créé des dames inspectrices, dont les fonctions étaient gratuites, c’est-à-dire à peu près nulles : voilà tout ce qu’avait fait la sollicitude publique. Plus tard, on soumit les écoles de filles au même régime que les écoles de garçons, mais en exceptant les écoles tenues par des religieuses, qui continuèrent à n’être surveillées que par les autorités administratives et ecclésiastiques. Ce privilège accordé aux congrégations cessa en 1836. À partir de ce moment, les comités locaux et les comités d’arrondissement exercèrent la même autorité sur les écoles des deux sexes. Ainsi l’enseignement des filles était surveillé, mais il n’était pas organisé[2]. Aucune disposition législative n’assurait le sort des institutrices et n’obligeait les communes à fonder des écoles spéciales pour les filles. La loi de 1833 est muette. Le projet présenté aux chambres par M. Guizot contenait un titre spécial qui disparut dans la discussion. L’administration-se borna à permettre

  1. Ces bibliothèques populaires se sont tellement multipliées qu’il s’est fondé à Londres plusieurs sociétés dont le but est de leur fournir de bons livres à prix réduits ; nous citerons entre autres : The pure Literature Society, the Christian Knowledge, the religions tract Society.
  2. A la vérité, on avait pourvu au recrutement du personnel. Une ordonnance royale de 1842 avait régularisé la fondation de cinq écoles normales d’institutrices. Ce chiffre s’accrut rapidement. Il y a aujourd’hui dix écoles normales et vingt-six cours normaux. Sept écoles sur dix, treize cours normaux sur vingt-six, sont tenus par des religieuses.