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aux ouvriers rangés et laborieux ; mais il s’agit ici d’un intérêt très général, car, en améliorant le sort des ouvriers, on rend service à l’industrie et à la société tout entière. Cette mesure rendrait inutile le premier versement exigé des acquéreurs par la compagnie, et qui sert précisément à couvrir ces droits. On croit que la possession d’une somme de 3 ou 400 francs est une garantie de la moralité de l’acquéreur, et que la compagnie, en les exigeant, écarte le danger de contracter avec des acquéreurs non sérieux. L’intérêt de la compagnie est réel ; mais la garantie de 400 francs ne vaut pas celle qu’elle peut trouver dans le témoignage des patrons. C’est une erreur de croire que les ouvriers les plus riches aient plus d’ordre que les autres. Le directeur-gérant de la cité de Mulhouse, M. Bernard, a remarqué au contraire que les ouvriers pauvres sont les plus réguliers dans leurs paiemens mensuels. Une fois entrés dans la voie de l’épargne, ils comprennent très vite la transformation qu’elle doit opérer dans leur condition. Il ne faut pas d’ailleurs regarder comme insignifiante cette petite somme de 400 francs ; elle est, il est vrai, bien petite, mais elle paraît immense à l’ouvrier qui la prélève sur son nécessaire et sur celui de sa famille. On doit prendre garde que le bienfait ne sera pas entier tant qu’on n’aura point rendu la propriété accessible aux ouvriers les plus pauvres.

Beaucoup d’établissemens situés loin des villes ont fait de louables efforts pour loger leurs ouvriers. Cela se comprend : un chef d’industrie réduit, par son isolement, à ses propres forces ne peut guère songer à fonder un hôpital. L’entretien d’une école est déjà pour lui une lourde charge. C’est même un des argumens dont on se sert pour réclamer, dans l’intérêt des travailleurs, la concentration sur un même point d’un grand nombre d’établissemens industriels. Cet argument n’a plus de valeur, quand la sollicitude du chef d’industrie crée un village tout exprès pour le vendre à ses ouvriers. À quoi bon un hôpital, quand il n’y a pas de malades ? L’air des champs, une maison salubre, un jardin, une certaine aisance, des habitudes régulières, entretiennent autour de la fabrique une population saine et vigoureuse. Le patron, de son côté, y trouve un double profit, car il attire les ouvriers, ce qui lui est très nécessaire dans sa situation, et il les retient, ce qui est un avantage capital en industrie, car les pires ouvriers sont les nomades. De si excellens résultats ne demandent aucun sacrifice : il ne s’agit que d’une avance. Il n’y a rien de plus comfortable et de plus gai que les maisons construites par la compagnie de Baccarat dans un coin de son vaste enclos. Comme on ne pouvait pas loger treize cents ménages, les maisons ont été données par privilège aux verriers, qui sont les ouvriers d’élite de l’établissement. À la papeterie d’Essonne, les logemens ressemblent un peu plus à des chambres de caserne, mais