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foyer où leur mère leur souriait. Ils raconteront leur histoire à leurs enfans, car leur famille peut avoir une histoire à présent qu’elle est attachée à ce coin de terre. Nous voilà loin de ces nomades, de ces demi-sauvages, chassés de taudis en taudis par les exigences du propriétaire, habitués à la malpropreté, vivant séparés les uns des autres par nécessité, ne pensant à leur maison que pour se rappeler leur misère, obligés de demander au cabaret, quelquefois à l’ivrognerie, un moment de distraction et d’oubli. Cette maison est pauvre, mais c’est la maison paternelle, et ceux qui l’habitent et qui la possèdent ne se sentent plus étrangers au milieu de la société. Ils comprennent, pour la première fois peut-être, l’étroite parenté de la propriété et du travail.

En visitant la cité ouvrière de Mulhouse, on sent un vif désir de voir une si belle institution se propager par toute la France, et on ne peut s’empêcher d’être surpris que l’exemple donné par Mulhouse il y a déjà six ans n’ait pas encore porté de fruits ailleurs. L’agrandissement de Lille va permettre au bureau de bienfaisance de créer une cité ouvrière, et M. Dorémieux en a déjà les plans tout prêts ; M. Scrive a pris les devans, on l’a vu, à moins d’une lieue de Lille. L’honneur de l’initiative en reviendra toujours à la Société industrielle de Mulhouse, et il n’y a peut-être pas d’académie en Europe qui ait déployé autant d’intelligente activité, ni rendu des services aussi éminens à la cause de l’industrie et à celle de l’humanité. C’est une association entre les premiers fabricans de l’arrondissement pour faire étudier toutes les questions industrielles sans regarder à la dépense, pour récompenser et propager les découvertes utiles, provoquer toutes les améliorations possibles dans le sort des travailleurs. Cette constante préoccupation du sort des ouvriers est le caractère propre de cette société ; c’est par là qu’elle rend des services incalculables. Elle a compris et elle démontre à tous qu’un bon ouvrier est le premier facteur de la richesse nationale, et qu’en s’occupant du bien-être et de la moralisation des classes laborieuses, on fait à la fois une bonne action et un bon calcul. Mulhouse a eu le bonheur d’avoir des dynasties de fabricans ; sans cela, une telle société et toute le bien qu’elle a fait auraient été impossibles. Les Dollfus, les Kœchlin, les Schlumberger, les Schwartz rendent largement à leur pays la richesse qu’il leur a donnée. Ils sont à Mulhouse ce que sont dans les Ardennes les Bacot, les Cunin-Gridaine, les Bertèche, ce qu’est Charles Kestner à Thann, ce que sont à Wesserling MM. Gros et Roman, M. Jean Dollfus en particulier peut être considéré comme le fondateur des cités ouvrières, qu’il dirige encore si habilement avec MM. Louis Huguenin et Zuber. Il ne faut pas croire qu’il n’ait pas rencontré d’objections ; le bien serait trop facile à faire sans les entraves que de très honnêtes gens apportent de très bonne foi aux