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les membres de la famille vécussent entre eux. La présence d’un étranger ôte toujours quelque chose à l’intimité du foyer[1]. Au reste, chaque groupe de quatre maisons avec les jardins couvre 150 mètres carrés. Les jardins sont bien cultivés. Le travail en plein air délasse les ouvriers. C’est une émulation entre eux à qui aura les plus belles fleurs. Ils se prennent de passion pour leurs légumes et leurs plates-bandes. L’eau ne leur manque pas, et l’administration place dans chaque jardin deux arbres à fruits. M. Bernard, l’habile directeur-gérant de la cité, pense que le produit d’un jardin bien cultivé en légumes et en fruits peut être estimé à 40 francs par année.

Le prix de location des logemens d’ouvriers était très élevé dans la ville de Mulhouse et dans les faubourgs ; il l’est encore malgré la construction de la cité. Une maison qui a été vendue à la criée pour expropriation, au commencement de 1859, au prix de 9,560 fr., rapporte 2,400 fr. à l’acquéreur. Lorsque les ouvriers de Mulhouse virent à la porte de la ville les maisons qu’on vient de décrire, riantes, commodes, bien situées, entourées de jardins, et qu’ils pouvaient habiter pour le même loyer, il y eut un moment d’hésitation. Ils craignirent d’être parqués, enrégimentés ; ils furent surtout étonnés quand on leur parla d’acheter ces maisons. Jamais l’idée de se transformer en propriétaires ne leur était venue. La société ne leur faisait aucun mystère ; elle leur disait : « Voilà mes maisons tout ouvertes ; entrez-y, parcourez-les depuis le grenier jusqu’à la cave. Le terrain m’a coûté 1 franc 20 centimes le mètre ; avec les constructions, le salaire de l’architecte, l’achat des matériaux, elles me reviennent, les unes à 2,400 fr., les autres à 3,000 fr. ; je vous les vends pour le même prix ; je ne veux rien perdre, mais je ne veux rien gagner. Vous êtes hors d’état de me payer 3,000 fr. ; mais moi, société, je puis attendre. Vous verserez une première mise de 3 ou 400 francs, qui couvriront les frais de contrat et de mutation, après quoi vous me paierez 18 fr. par mois pour une maison de 2,400 fr., 23 fr. pour une maison de 3,000 fr. C’est 4 ou 5 fr. de plus que ne vous coûterait votre loyer. En continuant ce paiement pendant quatorze ans, vous aurez remboursé le prix de votre maison, vous en serez propriétaires. Non-seulement vous y demeurerez pour rien, mais vous pourrez la laisser à vos enfans, la donner ou la vendre. Vos cinq francs d’économie par mois, qui vous

  1. Les contrats de vente stipulent : 1o que l’immeuble sera laissé dans son état extérieur actuel, 2o que le jardin sera cultivé et conservé en sa nature, 3o que les clôtures seront entretenues, et que les tilleuls qui bordent les rues, quoique plantés en dedans des palissades, seront conservés, 4o que l’acquéreur ne pourra, sans l’autorisation de la société, ni revendre l’immeuble avant dix ans révolus, ni sous-louer à une seconde famille.