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donner à la politique d’un gouvernement cette signification systématique et claire dont l’absence est si regrettée en ce moment. Quand les ministres sont dans les chambres, ils n’y peuvent conserver le pouvoir sans l’appui des majorités ; quand il est bien entendu que la politique d’un gouvernement doit être l’expression de la pensée des majorités, l’émulation est créée au sein des opinions. Non-seulement les opinions sont appliquées à se définir, à se faire connaître, mais elles étudient plus attentivement les intérêts et les faits, elles se prêtent plus docilement aux compromis que la pratique conseille. Pouvant être appelées au pouvoir, elles ont à un plus haut degré et les lumières et les scrupules de la responsabilité. Nous n’avons, quant à nous, aucun embarras à énoncer ces nécessités du véritable gouvernement de l’opinion publique, car nous sommes certains que l’expérience les dévoilera et les imposera l’une après l’autre, parce que déjà, sans qu’on s’en rende peut-être bien compte, elles sont ressenties par ceux qui appellent la lumière sur la politique de la France dans la crise révolutionnaire où l’Europe est entrée.

Nous pourrions, si nous voulions suivre dans les détails l’action du corps législatif, trouver à chaque instant la confirmation de cette appréciation. Pour s’élever au rôle auquel il a été appelé par le décret du 24 novembre, le corps législatif se sent à l’étroit dans son règlement. N’a-t-on pas vu l’autre jour par exemple un député, M. Javal, faire la critique indirecte la plus piquante de ce règlement à propos du projet de loi relatif aux prisonniers pour dettes ? Le règlement accorde à la chambre la faculté de renvoyer au conseil d’état tel article de projet de loi qui lui paraît devoir être amendé ; ici, par une curieuse rencontre, le projet n’avait qu’un article, et le rejeter, c’eût été rejeter la loi. Les embarras du corps législatif se révéleront plus encore dans la discussion du budget, si cette discussion doit être aussi sérieuse et aussi approfondie que l’état de nos finances et les circonstances générales semblent l’exiger. C’est plus que jamais peut-être sur le terrain des finances qu’il faut aujourd’hui se placer pour embrasser et combiner l’ensemble des nécessités de la politique française. La force d’action d’un gouvernement, si on veut l’évaluer et en user sainement, dépend de l’état de ses finances. Tous les grands services publics où se distribue l’action du pouvoir viennent se réunir à l’administration financière comme à un confluent commun. Dans l’ordre régulier des choses, les finances étant le centre du gouvernement, le ministre des finances devrait toujours avoir la direction du cabinet. C’est probablement pour cette raison, mise en lumière par une longue expérience, qu’en Angleterre le premier ministre est presque toujours le premier lord de la trésorerie. L’inconvénient de notre système de ministères, le ministre des finances n’y ayant point la haute main sur ses collègues, c’est la difficulté que nous éprouvons à équilibrer nos dépenses avec nos revenus. Cette difficulté est devenue plus sensible dans ces derniers temps par l’excès et probablement