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religieuse, chaque fait, quelle qu’en soit la valeur, est étudié d’une manière plus désintéressée, avec une froide curiosité, en lui-même et pour lui-même. Un jeune écrivain qui vient de débuter dans les lettres par un roman que distinguent des qualités plus sérieuses qu’on n’en rencontre d’ordinaire dans les œuvres de début a posé la question assez nettement dans une préface qui serait excellente, si elle était réduite de moitié et émondée de certaines confidences malencontreuses. « Ce qu’il nous faut, dit-il, c’est la vérité, mais la vérité neuve et profonde. C’est l’étude intime et réelle de l’âme humaine et de la vie humaine. Ce n’est plus la passion ni l’émotion, c’est l’analyse de la passion et de l’émotion. Voilà ce que réclame notre insatiable avidité de connaître et de savoir. » C’est là en effet le but qu’il faudrait atteindre, et que cherche notre littérature nouvelle lorsqu’elle est moins empirique qu’expérimentale : malheureusement l’empirisme domine ; ils sont rares, les jeunes romanciers qui se rendent un compte exact de ce qu’ils cherchent, dont les analyses et les expériences sont autre chose que des tâtonnemens obscurs, et qui sont guidés par d’autres méthodes que le hasard.

Quoi qu’il en soit, ce qui domine dans notre littérature d’imagination comme dans la critique moderne, comme dans la science et l’histoire, c’est l’amour du fait, de la réalité, de l’expérience. Ainsi, en y regardant bien, on voit que toutes les facultés de l’esprit se répondent les unes aux autres dans une époque donnée, et que toutes les aptitudes contraires en apparence d’une même génération s’accordent pour chercher le même but. Une idée s’est emparée puissamment du cerveau des générations nouvelles : c’est que tous les systèmes sont faux, parce qu’ils sont arbitraires, et qu’ils ont enseigné désormais à l’humanité tout ce qu’ils pouvaient lui enseigner. Nous ne devons attendre la vérité d’aucun d’eux, car ils ne nous donneront jamais dans le présent et dans l’avenir que ce qu’ils nous ont donné dans le passé, c’est-à-dire la part de vérité qui est entrée en eux et qui en fait pour ainsi dire la substance. Le seul moyen que nous ayons désormais de connaître la vérité, c’est de la chercher dans les choses elles-mêmes, de soumettre les choses à l’analyse pour connaître les élémens dont elles sont formées. Nous devons procéder scientifiquement dans le monde moral comme dans le monde physique, et bannir les conceptions arbitraires construites à priori par les fantaisies de notre esprit, comme le grand Bacon chassa au xvie siècle de la science les idoles de la caverne et les idoles du Forum. Longtemps on a pris dans les sciences les mots pour les choses ; il faudrait savoir si nous n’obéissons pas à la même erreur dans le monde moral, si les querelles scolastiques ne continuent pas parmi nous sous d’autres noms. Au lieu de faire découler la réalité de nos conceptions à priori, il serait plus sage