Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 32.djvu/100

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

est faite. Chacun peut la voir réalisée de ses propres yeux dans les cités ouvrières de Mulhouse.

Ce nom de cités ouvrières ne doit pas nous effrayer. Il a été donné ailleurs à des entreprises justement tombées dans le discrédit, parce qu’elles n’étaient au fond qu’une sorte de casernement des ouvriers ; mais à Mulhouse l’ouvrier n’est soumis à aucune surveillance et à aucun règlement. Non-seulement il conserve sa liberté, mais il l’accroît, car il devient propriétaire, ce qui est la sanction et l’achèvement de la liberté. Quand on a vu cette belle ruche riante, où l’ouvrier est mieux logé que la plupart des familles aisées de Paris, où il est propriétaire de sa maison, où il trouve le soir une ménagère soigneuse, des enfans bien élevés et bien tenus, revenus de l’asile ou de l’école, on comprend qu’il y a là le germe de toute une révolution : révolution qui ne détruit que le vice et la misère, et fait concourir l’amélioration matérielle des ouvriers à leur régénération morale. Si le système des cités ouvrières, tel qu’on le voit appliqué à Mulhouse, vient à se généraliser, on peut assurer que le sort des ouvriers ne dépendra plus que d’eux-mêmes. Ce sera le plus grand pas qu’on aura fait dans la voie de l’extinction du paupérisme depuis la loi de 1833, qui a fondé l’instruction primaire.

On a fait, il y a quelques années, à Paris et à Marseille, des essais de cités ouvrières. Dans les quartiers populeux, on a jeté bas de vieilles maisons à demi croulantes, aux escaliers obscurs, aux chambres mal éclairées, aux dégagemens impossibles, et on les a remplacées par de beaux édifices en pierres de taille, avec des escaliers monumentaux, de vastes couloirs, des appartemens bien distribués, pourvus de tout ce qui est nécessaire à un ménage. Cela fait, on a affiché un règlement à la porte extérieure et attendu les locataires, qui ne se sont pas présentés. C’est que les ouvriers ne veulent point être casernes. Ils aiment la liberté du chez soi, et ils en aiment jusqu’à l’apparence. Ils ont cru qu’on voulait les rendre heureux en dépit d’eux-mêmes ; ils ont regardé avec quelque raison les cités ouvrières comme une sorte d’hospice des petits ménages. Dans quelques autres villes, où les cités ouvrières semblent construites tout exprès pour rendre la surveillance facile, on a eu presque autant de peine à trouver des locataires. À Amiens, la Cité-Damisse est une rue bien percée, entièrement bordée de maisons à un seul étage bâties sur un plan uniforme. La rue est large, les maisons sont spacieuses et commodes ; cependant elles restent en grand nombre inhabitées. La cité que MM. Scrive ont fondée à Marcq-en-Barœul, à 4 kilomètres de Lille, est au contraire littéralement envahie. Les maisons en sont entourées de jardins, et la fabrique est située au milieu de la cité, de sorte que les ouvriers y sont comme chez eux. Les propriétaires ont établi une agence qui vend à des prix très