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s’est écoulé néanmoins avant qu’on s’avisât d’en fabriquer des vitres !

Nous avons dit que, suivant une opinion assez généralement accréditée, il faudrait voir dans les cartes à jouer les premiers monumens de la xylographie. Les documens sur lesquels se fonde cette opinion n’ont toutefois qu’une autorité négative. De ce que les chroniques où les cartes sont mentionnées ne disent rien des autres produits de la gravure sur bois, on a conclu que ces produits n’existaient pas encore. Rien de mieux ; mais n’est-il pas permis de se demander si le silence de l’écrivain en pareil cas accuse absolument l’absence du fait ? Ce silence, ne saurait-on l’expliquer par la nature de l’écrit et du sujet à traiter, sujet tout littéraire ou philosophique, et fort indépendant des questions d’art ? En parlant des cartes, soit pour les proscrire formellement, soit pour en restreindre l’usage, les romanciers et les moralistes du XIVe siècle songeaient vraisemblablement assez peu au mode de fabrication : ils prétendaient signaler un vice bien plutôt qu’un procédé industriel. À quel propos dès lors se fussent-ils occupés d’autres œuvres où ce procédé était employé, non-seulement sans danger pour la religion et la morale, mais au contraire en vue de les honorer l’une et l’autre ? Les images pieuses taillées dans le bois par la main des moines ou des artisans pouvaient être répandues à cette époque, bien que les auteurs contemporains aient mentionné les cartes de préférence, et, sans pousser trop loin la liberté des conjectures, il y a lieu de supposer que les graveurs du moyen âge puisèrent d’abord leurs inspirations à la même source que les miniaturistes, les peintres verriers et les sculpteurs. L’art, on le sait de reste, n’était alors que l’expression naïve de la foi, l’effigie de la pensée chrétienne. Comment les tailleurs d’images xylographiques se seraient-ils affranchis de la loi générale, et par quelle étrange exception auraient-ils choisi pour objet de leurs premiers essais un travail si contraire aux mœurs et aux traditions de toutes les écoles ?

Si l’on veut d’ailleurs laisser de côté les témoignages écrits pour consulter les œuvres mêmes de la gravure que le moyen âge nous à transmises, on sera autorisé à dire que les plus anciennes cartes à jouer sont tout au plus contemporaines du Saint Christophe et des plus vieilles gravures sur bois connues, puisque ces cartes ne remontent pas au-delà du règne de Charles VII[1]. Que les tarots italiens,

  1. Nous ne parlons ici, bien entendu, que des cartes gravées et imprimées. Les célèbres cartes dites de Charles VI que possède la Bibliothèque impériale sont exécutées au pinceau comme les miniatures des manuscrits, et enrichies de gauffrures d’or et d’argent où l’artiste a pointillé des ornemens. Ces cartes, antérieures a toutes celles que l’on conserve dans les collections publiques, méritent d’être étudiées comme un précieux spécimen du goût et de l’art français au commencement du XVe siècle ; mais dans la question spéciale qui nous occupe, elles n’ont pas de renseignemens à nous fournir.