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est en mesure de produire un titre au-dessus du soupçon. Avec son imposante date de 1423, ses droits consacrés et sa réputation officielle, le Saint Christophe garde des privilèges devant lesquels il n’y a qu’à s’incliner. Suit-il de là que les gravures sur bois du Speculum soient nécessairement plus récentes, et parce qu’une estampe allemande pourvue de sa date a survécu, faut-il en conclure que rien ne s’était produit en dehors de l’Allemagne à cette même date ? Ne faut-il pas reconnaître surtout que les planches du Speculum semblent presque des prodiges de science et d’habileté auprès du Saint Christophe, que l’artiste qui les a exécutées avait pu et dû se former de longue main à bonne école, qu’en un mot un art ne débute pas ainsi, et que, à supposer même que ces pièces n’aient paru qu’après l’estampe allemande, un certain temps s’était écoulé sans doute durant lequel les progrès qu’elles résument avaient été préparés et poursuivis ?

On peut donc raisonnablement penser que, dès les premières années du XVe siècle, les graveurs sur bois des Pays-Bas commencèrent, sous l’influence des van Eyck, à s’initier aux conditions de l’art proprement dit, et que, comme les imprimeurs leurs compatriotes, ils tracèrent la route que d’autres allaient achever de débarrasser et d’aplanir. Il est à remarquer toutefois que la gravure sur bois et l’imprimerie ne suivent point partout, à leurs débuts, une marche parallèle, et qu’elles sont loin de traverser dans le même ordre la série des épreuves et des perfectionnemens. En Allemagne, tant que Gutenberg n’a pas trouvé le dernier mot du procédé typographique, tant qu’il n’en a pas popularisé les derniers secrets, peintres, dessinateurs, graveurs, tous s’immobilisent dans la routine ; tous, depuis l’auteur du Saint Christophe jusqu’aux imagiers qui travaillent trente ans après lui, n’ont que des intentions et une pratique invariablement grossières. L’art allemand semble attendre, pour prendre son essor, que l’industrie lui ait donné l’exemple. Encore s’obstinera-t-il quelque temps dans sa barbarie première après la révolution opérée à côté de lui : les ouvriers tailleurs de bois n’acquerront pas tout d’abord la même habileté que les ouvriers typographes employés par Gutenberg et par Fust. Dans les Pays-Bas au contraire, c’est la régénération de l’art qui précède les premiers perfectionnemens mécaniques, et lorsque ceux-ci sont en voie de s’accomplir, lors même qu’une découverte suprême a déterminé toutes les ressources ; toutes les lois de l’imprimerie, la gravure, au lieu de se subordonner, comme en Allemagne, aux progrès du procédé nouveau, a depuis longtemps ici une sûreté et une netteté d’exécution qui manquent encore aux spécimens typographiques. Le Speculum, nous l’avons dit, accuse cette espèce d’anomalie entre l’imperfection matérielle des livres que l’on imprimait en Hollande au