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de 1483, imprimée par Jean Veldenaer, reproduit les gravures qui ornaient d’abord les quatre éditions anonymes, — avec cette différence qu’ici les planches ont été sciées en deux, pour s’ajuster aux dimensions d’un format plus petit. Voilà donc un fait positif, quelles que puissent être d’ailleurs les conjectures sur l’époque de la publication première. Puisque les planches originales n’apparaissent plus que coupées dans les exemplaires imprimés par Jean Veldenaer, il est clair que les quatre éditions où ces planches se trouvent entières sont antérieures à l’année 1483. Sont-elles antérieures aussi à la seconde moitié du XVe siècle, c’est-à-dire à l’époque où Gutenberg mettait en lumière les résultats de ses travaux, et, comme les Donats, sont-elles sorties d’un atelier hollandais ? Quant à ce dernier point, le doute, ne semble guère possible. Est-il présumable en effet que ces quatre éditions, imprimées avec les mêmes figures, sur le même papier de fabrique brabançonne, et dans les mêmes conditions typographiques, — sauf quelque différence entre les caractères des deux éditions hollandaises, et l’intercalation dans l’une des deux éditions latines de vingt feuillets imprimés suivant le procédé purement xylographique, — est-il vraisemblable que ces livres appartiennent à l’Allemagne, comme on l’a prétendu ? Passe encore s’il ne s’agissait que des exemplaires en langue latine ; mais les exemplaires en langue hollandaise, on ne saurait supposer qu’ils aient été publiés ailleurs qu’en Hollande, et l’origine de ceux-ci une fois reconnue, le moyen d’expliquer autrement que par l’ignorance des procédés qu’allait populariser Gutenberg l’imperfection typographique de l’ouvrage ? D’ailleurs, suivant M. Paeile, juge très compétent en pareille matière, la traduction hollandaise du Speculum « est écrite dans le pur dialecte de la Nord-Hollande, tel qu’il se parlait dans ces contrées vers la fin du XIVe siècle et dans les premières années du XVe. » Ainsi, en s’autorisant seulement du caractère de l’impression et des particularités de l’idiome, on peut, sans s’aventurer beaucoup, placer la date de la publication entre le premier et le second quart du XVe siècle. Ajoutons que les costumes des figures sont analogues aux costumes de la cour de Philippe le Bon, que le goût du dessin rappelle le style inauguré par les van Eyck, et que le contraste est sensible entre l’imperfection typographique du livre et le mérite des planches dont il est enrichi. L’art, et un art assez avancé déjà, assez sûr de lui-même, se montre en regard d’une industrie bien inexpérimentée encore : témoignage remarquable des progrès accomplis dans la pratique de la gravure sur bois avant même que la typographie eût dépassé la période des tâtonnemens et des tentatives rudimentaires. C’est là, dans la question qui nous occupe, le point capital, le fait essentiel à constater.