Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 31.djvu/986

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

a immortalisé Gutenberg la conclusion et le couronnement d’une série d’efforts tentés en dehors de ses propres recherches. Toute proportion gardée entre l’insuffisance des types mobiles, soit en bois, soit en quelque autre matière, employés d’abord par les Hollandais, et la perfection des premiers spécimens de l’imprimerie allemande, il faut admettre qu’avant l’époque où parurent les Lettres d’indulgence, la Bible et les autres ouvrages sortis des ateliers de Gutenberg et de ses associés, des essais de véritable typographie avaient été déjà poursuivis et, dans une certaine mesure, récompensés par le succès ; que, de l’aveu même d’Ulrich Zell, aveu reproduit par le chroniqueur anonyme de Cologne, on vit dans la ville de Harlem « la première ébauche de l’art » (prœfiguratio) ; enfin, que, comme le moyen typographique employé pour l’impression des Donats, l’idée d’associer aux figures gravées sur le bois des textes composés à part et formés de types mobiles appartient, selon toute apparence, à la Hollande.

Un des plus anciens recueils avec texte imprimés suivant ce procédé est le Speculum humanœ salvationis qu’Adrien Junius a signalé le premier.[1] dans l’ouvrage intitulé Batavia, qu’il écrivait, à ce que l’on croit, de 1560 à 1570, mais qui ne fut publié qu’en 1588, plusieurs années après la mort de l’auteur. Il y est dit formellement que le Speculum fut imprimé avant 1442 par Lourens Janszoon Coster. Junius, il est vrai, mentionne là des faits antérieurs de plus d’un siècle à l’époque où il parle, et seulement sur la foi « d’hommes fort âgés qui avaient recueilli cette tradition comme un flambeau ardent qu’on se passe de main en main. » Aussi ce récit tardif a-t-il paru et peut-être paraîtra-t-il encore suspect à quelques-uns. Bien que nous ne partagions nullement leur défiance, nous n’insisterons pas. À côté des légendes et des commentaires, les pièces subsistent ; ce sont elles qu’il importe surtout d’interroger.

On connaît quatre éditions du Speculum, deux en langue hollandaise, deux en langue latine. Il est bien entendu que nous parlons seulement des éditions qui ne portent ni nom d’imprimeur, ni date, ni désignation du lieu où elles ont été publiées, le Sprculum, sorte de manuel chrétien fort en usage dans les Pays-Bas, en Allemagne et en France, ayant été réimprimé nombre de fois avec des indications de cette sorte à partir des vingt dernières années du XVe siècle. Disons pourtant que la plus ancienne édition hollandaise datée, celle

  1. M. Pacile, dans son Essai, cite, en faveur des Hollandais, plusieurs passages d’écrits antérieurs à la publication du livre de Junius. Néanmoins, comme ces citations n’ont trait qu’au fait général de l’invention, tandis que le récit très circonstancié de Junius nous donne l’historique des procédés successivement mis en usage par l’inventeur et le titre du premier ouvrage que celui-ci imprima, il semble naturel d’attribuer à un pareil témoignage une importance exceptionnelle et de l’invoquer de préférence à tout autre.