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nouvelle, qui l’affranchira probablement un jour de l’impôt qu’elle paie encore à l’étranger pour les laines de cachemire et d’Angora[1].

Dans la sélection artificielle, l’homme fait un appel direct à l’hérédité pour transmettre intacts et fortifier de plus en plus les caractères qu’il recherche dans une espèce, dans une race. Plus cette action a été prolongée, plus la race s’est assise, et plus elle résiste aux diverses causes qui peuvent tendre à l’écarter du type que l’on cherche à réaliser ; par conséquent, moins un changement de lieu, de climat, de nourriture, a de prise sur elle. Toutefois, quelque ancienne qu’elle puisse être, un pareil changement l’ébranle toujours plus ou moins. Le mérinos espagnol transporté dans les diverses contrées d’Europe dégénérait d’abord partout et reproduisait au bout de quelques générations les moutons du pays. Pour arriver à le conserver, on dut recourir à des soins spéciaux destinés à le défendre contre l’action du milieu en dehors duquel il s’était formé. C’est ce qui s’est produit en France depuis l’époque de Colbert jusqu’au moment où Daubenton appliqua à l’élevage de cette race les principes qu’il devait à ses études scientifiques ; mais si les soins éclairés de ce naturaliste et de ses imitateurs ont empêché la dégénérescence du mouton d’Espagne, s’ils lui ont conservé la toison qui le fait rechercher, ils n’ont pu empêcher totalement les influences modificatrices de s’exercer, et le mérinos de Saxe, celui de Suède, celui de Rambouillet, quoique issus de la même souche et ayant conservé toute la pureté de leur sang, n’en présentent pas moins de légers caractères qui leur sont propres et les distinguent de la race mère et entre eux. Aujourd’hui la race espagnole est représentée dans chacun des pays que je viens de nommer au moins par une sous-race ayant ses caractères à elle. L’histoire du cheval nous présenterait des détails entièrement semblables. Livré à lui-même dans le delta du Rhône, le cheval barbe est devenu le cheval Camargue ; le cheval arabe, transporté dans les écuries d’Angleterre, s’est changé en cheval anglais[2], et chaque région de l’Amérique a transformé nos diverses races de chevaux d’Europe en autant de races américaines différentes entre elles et se distinguant

  1. La laine de Mauchamp fut d’abord peu appréciée par nos plus habiles manufacturiers. Un seul, M. Davin, en comprit toute la valeur et n’hésita pas à faire les efforts et les sacrifices nécessaires pour mettre en œuvre cette laine, qui demandait des soins et un outillage particuliers. Les magnifiques produits qu’il a obtenus prouvent que les éloges donnés à la laine de Mauchamp n’ont rien d’exagéré.
  2. M. Eugène Gayot a parfaitement prouvé dans ses Études hippologiques l’origine exclusivement, arabe et barbe du cheval anglais. Au reste, dans la création de la race pur sang, la sélection, dirigée vers un but exclusif, a contribué certainement pour une bonne part à l’acquisition des nouveaux caractères qui distinguent cette racé des deux races mères.