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de nos éleveurs les moins avancés pourrait ici servir d’exemple. Toutefois ce n’est guère que depuis trois quarts de siècle que l’amélioration des races par elles-mêmes est devenue un art ayant ses règles et ses méthodes, grâce surtout aux travaux des Bakwell et des Collins en Angleterre, de Daubenton en France. Celui-ci, choisissant dans un troupeau dont la laine grossière n’avait que trois pouces de long les individus qui présentaient à cet égard quelque supériorité, les mariant entre eux, et continuant avec persévérance à réunir les plus beaux produits, forma en dix ans une race dont la laine, aussi fine que celle du mérinos, avait vingt-deux pouces de long. Bakwell obtint des résultats beaucoup plus prompts en mariant les pères et les mères avec leurs propres enfans, ou les frères avec les sœurs[1]. C’est par ces procédés qu’il créa le bœuf dishley[2]. Plus tard, en opérant de la même manière, en profitant de toutes les améliorations déjà acquises, les frères Collins obtinrent le durham, ce bœuf aussi admirable aux yeux de l’éleveur qu’il est informe aux yeux de l’artiste[3].

La sélection constitue, au point de vue de la question qui nous occupe, une expérience des plus significatives. Elle met hors de doute deux faits très importans. Le premier, c’est que toutes les races d’une même espèce ne se prêtent pas à des modifications identiques, et que les mêmes procédés appliqués à des races différentes conduisent à des résultats différens. Bakwell et les frères Collins s’étaient proposé le même but. Ils avaient voulu produire un bœuf dont l’ossature fût aussi réduite, les muscles aussi développés et l’engraissement aussi rapideque possible. Or Bakwell opéra sur la race à longues cornes de Leicester, les frères Collins sur la race à courtes cornes de la Tees. Les points de départ n’étant pas les mêmes, les points d’arrivée ne se ressemblèrent pas davantage, et après une expérience longtemps continuée, après de vifs débats, il fut reconnu dans toute l’Angleterre que jamais le dishley, bien que très supérieur à la race mère, ne pouvait égaler le durham, qu’il conservait une ossature beaucoup plus volumineuse et s’engraissait bien plus lentement. Le dishley et le durham gardent donc encore une certaine empreinte du leicester et du tees-water originels, comme

  1. Ce procédé, qu’on pourrait appeler l’amélioration de la race par la famille, est ce que les Anglais appellent le breeding in and.in.
  2. La race dishley descend de la race à longues cornes du Leicestershire.
  3. L’origine de la race durham a été l’objet de controverses vives et nombreuses. M. Baudement, qui a étudié cette question avec un soin tout spécial, qui est remonté aux sources originales, s’est convaincu qu’elle descend uniquement de la race dite tees-water, parce qu’elle s’était formée sur les bords de la Tees. Ces tees-water étaient une race laitière haute au garot, mais à poitrine étroite, à ossature forte et lente à l’engraissement, c’est-à-dire qu’elle était presque à tous égards l’opposé de la race durham.