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anonymes qu’un laquais n’aurait point eu la pensée d’écrire ; de l’autre, le parlement breton, sanctuaire d’une séculaire fidélité envers la couronne, accusait de vol, pour ne pas dire d’escroquerie, le duc d’Aiguillon, l’ami et le représentant même du monarque ! Ce n’était plus la lutte légale, ce n’était plus même l’état de guerre ; c’était la révolution française, déjà consommée dans les idées, qui tendait à passer dans les faits.

Ardemment soutenu dans ses agressions contre la cour par les états, le parlement de Bretagne, entrant plus avant qu’aucune autre compagnie souveraine dans le courant des aspirations nouvelles, se fit l’instigateur infatigable de cette union des parlemens, dont le dernier mot devait être la convocation des états-généraux et la reconstitution de la France d’après des données rationnelles très étrangères au droit historique que la province avait si résolument maintenu jusqu’alors. Un grand corps qui ne représentait qu’un droit local se faisait donc l’instrument d’une révolution dont le programme était l’unité de la législation française, l’immolation de tous les privilèges provinciaux au droit de l’état. Aussi Breton qu’on pût l’être par l’austérité de sa vie, la persévérance de ses poursuites et l’étude approfondie des coutumes de son pays, La Chalotais, correspondant des encyclopédistes, et non moins redouté pour ses bons mots que pour ses réquisitoires, était devenu, sans le soupçonner, l’un des ouvriers les plus actifs de l’immense transformation sociale à laquelle il poussa sans en avoir conscience, et qui sortit comme d’elle-même de la simultanéité de tous les efforts. Aussi funeste à l’ancienne monarchie que le fut bientôt après Mirabeau, le magistrat prépara les ruines que le tribun n’eut plus qu’à secouer. Pendant que l’école philosophique attaquait le pouvoir de front au none des idées, le parlement de Rennes, : avec l’assistance d’une grande province, continuait à lui faire une guerre à mort au nom des droits’ violés et des contrats méconnus.. La colère -trop légitime de la noblesse bretonne contre l’arbitraire ministériel élargit ainsi chaque jour l’abîme où cette noblesse ne tarda pas, comme par une sorte de généreux remords à s’ensevelir elle-même avec la monarchie qu’elle avait concouru à précipiter. Par un phénomène que peut seule expliquer l’association si malheureuse opérée par l’assemblée constituante entre la réforme politique et la réforme religieuse, on vit la libérale, mais catholique Bretagne, redevenir tout à coup l’ennemie la plus redoutable de la révolution dont elle avait été la première instigatrice et, le premier instrument, demeurant ainsi jusqu’à son dernier jour conséquente avec elle-même.


LOUIS DE CARNÉ.