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dont la tête tomba en 1720 sur la place du Bouffay valaient mieux que l’œuvre ténébreuse où ils se laissèrent entraîner par de légitimes ressentimens ; ils valaient mieux surtout que leurs lâches et indignes instigateurs. Il importe toutefois qu’en réfutant très justement Duclos et Lémontey, les écrivains bretons n’opposent pas aux aveuglemens de la détraction ceux de l’apologie, et qu’en payant à des compatriotes malheureux un tribut naturel de commisération, ils ne fassent pas d’agens de Cellamare et d’Alberoni les représentans d’un pays dont leur entreprise rendit la situation beaucoup moins intéressante et mille fois plus difficile. À partir du jour où fut exécuté l’arrêt de Nantes, la cour put dire en effet, non pas avec vérité, mais avec vraisemblance, que les résistances bretonnes étaient inspirées par de dangereuses arrière-pensées, et que les réclamations de cette province cachaient une conspiration permanente contre la France. Si le régent laissa couler le sang de MM. De Pontcallec, de Talhouët, Ducouëdic et de Montlouis, c’est que son gouvernement éprouvait le besoin de dévoyer l’opinion publique, en transformant en agression ce qui n’avait été si longtemps qu’une patriotique résistance. Accablé sous cette déplorable solidarité, la province pleura le sort des victimes, en subissant pour longtemps le contre-coup de leur faute.

La Bretagne demeura durant trente ans sous l’impression de cet événement, car la vie politique y fut comme suspendue jusqu’à la crise suprême qui s’ouvrit après 1750 sous l’administration du duc d’Aiguillon. Le cardinal de Fleury avait appliqué aux affaires de cette province un système fort habile. En même temps qu’il affectait un respect profond pour les droits de la Bretagne et qu’il y ménageait ainsi les susceptibilités nationales, il paralysait sans éclat le jeu de ses institutions par des conflits habilement suscités. L’ordre du clergé, composé de neuf évêques, presque tous étrangers à la province malgré le pacte d’union, et d’abbés qui devaient leurs riches bénéfices à la faveur royale, était aux états dans une dépendance presque constante de la cour. Fleury parvint à conquérir le tiers par des grâces distribuées avec à-propos. Afin d’assurer au roi le concours de cet ordre dans l’assemblée, il sut profiter de l’anéantissement du système municipal, qui plaçait à la discrétion de la couronne tous les maires, nommés par elle, et de l’affinité qui liait encore la bourgeoisie à la royauté, affinité séculaire dont la soudaine rupture fut en Bretagne le premier signal de la tourmente révolutionnaire.

D’après un usage immémorial, le vote conforme des trois ordres était nécessaire pour former une résolution législative. Il n’était dérogé à ce principe que pour des intérêts spéciaux et de faible importance. Dans la première partie du XVIIIe siècle, le travail principal de la cour consistait à faire prévaloir l’exception sur la règle, et