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le coup de cette innocente réforme ! Le bétail étranger devait envahir le sol national, nos prairies et nos étables deviendraient désertes ; c’en était fait de cette grande et belle industrie de l’agriculture, à laquelle une fatale application du libre-échange préparait une concurrence mortelle ! Qu’y avait-il de vrai dans toutes ces déclamations des Cassandres agricoles ? La statistique nous l’apprend. Pendant la période 1827-1836, l’importation annuelle des bêtes à cornes avait été en moyenne de 43,000 têtes, et l’exportation de 10,000 : en 1858, l’importation a atteint 100,000 têtes, et l’exportation 35,000. Si l’importation a plus que doublé, l’exportation a plus que triplé au profit de l’agriculture, qui a trouvé sur les marchés voisins le placement plus facile de ses produits. L’invasion si redoutée des bœufs de l’Allemagne n’a point modéré la hausse des prix, tant les besoins de la consommation étaient impérieux, et la conséquence la plus certaine du décret de 1853, décret qui bientôt sans doute sera remplacé par une loi consacrant la franchise complète, a été de déterminer dans les contrées limitrophes le renchérissement du bétail. Il en sera toujours ainsi pour tous les produits, lorsque l’on ouvrira à l’étranger le vaste marché de la France. L’accroissement du nombre des consommateurs, c’est-à-dire l’augmentation de la demande, provoquera la hausse : c’est un fait que l’économie politique enseigne, que la statistique démontre de la façon la plus évidente, et qui doit calmer les appréhensions que provoquent encore les réformes de douane. La baisse des prix ne suit pas immédiatement une réduction de tarif ; l’industrie nationale a devant elle le temps nécessaire pour s’organiser, pour s’armer contre la concurrence étrangère, et les réformes douanières ne produisent leur plein effet à l’avantage du consommateur qu’au moment où la baisse est sans péril pour l’agriculteur et pour le fabricant.

Tout se tient et s’enchaîne dans l’examen des problèmes économiques. On voit la population s’agglomérer de plus en plus et se presser dans les villes, les produits augmenter de prix malgré leur plus grande abondance, parce que la consommation urbaine, favorisée par le taux élevé des salaires, est plus exigeante que ne l’est la consommation rurale, enfin la valeur des choses et des services atteindre des cours qui semblent en contradiction avec le perfectionnement des moyens et instrumens de travail. Si nous portons nos regards au-delà de nos frontières, nous observons, les mêmes faits se reproduisant avec plus ou moins d’intensité, de telle sorte qu’il doit exister une cause générale pour ces résultats, dont le caractère universel a éveillé l’attention des gouvernemens et de la science. Cette cause, nous croyons qu’on la trouverait surtout dans le développement extraordinaire de la grande industrie. C’est l’industrie qui peuple les villes, c’est elle qui règle le taux des salaires, et qui, tout en multipliant