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guerre, il honorait par des mots tels que lui seul en savait dire l’inaltérable fidélité de la Bretagne envers la France.

Mais si le Béarnais comprenait à merveille l’honneur breton, il n’était pas moins étranger que les autres princes de sa race au génie particulier de cette province et à l’esprit des libres institutions dont ses prédécesseurs avaient juré le maintien. Henri IV fut en effet le premier des rois de France à porter des coups sensibles au contrat que la monarchie allait faire tant d’efforts pour briser, payant ainsi par l’ingratitude le dévouement de la Bretagne à l’union. L’élection populaire formait la base immémoriale du régime municipal dans la péninsule ; elle présidait à la constitution de tous les corps de villes comme de toutes les gardes urbaines, et ce régime était passé dans les mœurs au point de ne pas laisser comprendre au pays un mécanisme différent. Henri IV commença contre le principe électif la guerre acharnée que ses trois successeurs allaient faire en Bretagne à l’ensemble du système municipal. Sous la date du 1er mai 1599, le livre doré des maires de Nantes contient une injonction du roi à l’assemblée réunie pour présenter, selon l’usage, trois candidats aux fonctions de maire, afin que cette assemblée eût à comprendre dans sa liste un sieur de La Bouchetière, trésorier des états de Bretagne, qui, durant les guerres civiles, avait donné à Henri IV des gages personnels de fidélité. La prétention du monarque ayant paru blessante dans sa forme autant qu’incompatible en elle-même avec le droit de la communauté, le candidat désigné par sa majesté ne fut point porté sur la liste, ce qui mit Henri IV dans une singulière fureur. Ce prince en écrivit de sa main à la ville de Nantes en des termes qui révélaient plutôt encore son étonnement que son indignation. « Je trouve fort étrange, disait-il, qu’il y en ait eu quelques-uns d’entre vous si hardis que de nommer des gens que je ne veux qui soient nommés, ma volonté étant telle que le sieur de La Bouchetière soit élu, qu’il n’y ait aucune faute, et que je sois obéi en cela[1]. » Il est inutile d’ajouter que le candidat ainsi recommandé finit par l’emporter. L’arbitraire, entré par cette première brèche, ne tarda pas à fausser d’abord, puis à corrompre le régime municipal de nos libres communautés bretonnes. Un siècle plus tard, ce régime n’était plus dans la péninsule, comme dans le reste du royaume, qu’un moyen de battre monnaie aux mains des contrôleurs-généraux des finances, la couronne ayant imaginé, dans ses

  1. Dans sa savante Histoire de la Milice et de la Commune de Nantes, M. Mellinet a relevé à leur date les innombrables violations de ses droits contre lesquelles dut protester la Bretagne durant le cours de deux siècles, et démontré l’incompatibilité radicale qui se révélait chaque jour entre la monarchie absolue et les institutions bretonnes.